Introduction : Objectifs et préparatifs du raid

Les gorges de l'Asco Le plan initial de la mouture WE de l'Ascension (devenu pour moi le lancement annuel de la saison) consiste à se frotter au massif du Haut-Cavu dans un tour ambitieux à haut risque de plantage. A tel point que pour une fois je déroge à la règle du solo qui est mon fonctionnement habituel, histoire de bénéficier de quelque appui en cas de passage récalcitrant.
Franck, dès qu'il s'agit de pousser la machine dans les tours, est évidemment partant pour se joindre à moi. Triathlète débile capable de s'enfiler l'Ironman de Nice en 10h30, je sais qu'il aura la caisse physiquement pour se filer aux pentes et aux distances que je m'impose dans ce genre de raids de 3-4 jours. L'histoire est de savoir si, psychologiquement, il supportera les caresses du maquis et les profondeurs vertigineuses de certaines crêtes envisagées. Néophyte dans ce domaine, seule l'expérience du terrain nous le dira.

Les deux protagonistes de ce raid

Jusqu'à deux jours du départ, la météo prévisionnelle est favorable avant de basculer vers des perspectives vraiment négatives avec un peu de pluie et surtout un très gros vent à près de 100 km/h pendant les trois jours du WE. Sachant que pour gagner du poids, on a décidé (enfin, moi de manière démocratique) de dormir à la belle étoile, ça nous promet des conditions très inconfortables. De toutes façons, pour planter une tente, il faut deux mètres carrés de plat et ici, ça n'existe pas.

Aussi, au moment de prendre le ferry à Savone le mercredi, j'ai déjà un plan B (ma spécialité reconnue de tous mes accompagnants est la multitude de plans B que j'ai en réserve) consistant à aller plutôt dans le massif de Popolasca que je commence à bien maîtriser et à profiter des abris déjà recensés pour y passer les nuits bien au sec.
Niveau originalité par rapport à l'an passé, c'est pas top, mais, au moins, nous limiterons le risque de trop nous faire secouer. Le Haut-Cavu sous la tempête n'est pas envisageable (j'ai testé à la Noël 2013).
Déjà que loin d'être un inconditionnel du GPS à la base, cette fois, il est garanti que jamais il ne viendra à notre aide. Aucune trace n'a été prévue pour nous aider, c'était trop tard pour les enregistrer. Il ne servira qu'en cas de pépin et de retour en mode trackback et pour des fins statistiques à la fin du voyage.

Le Haut-Cavu dans la tempête Le Haut-Cavu dans la tempête

Jeudi 14/05/2015 : Asco - Ruisseau de Corbica - Cabane de Pinara

Une cascade sur le ruisseau de Corbica Accostage à Bastia à 7h du mat. Gros p'tit déj traditionnel sur le vieux port, comme à chaque fois désormais (j'ai vraiment pris mes habitudes de petit vieux). Quoi qu'il en soit, la grosse machine de Franck ne pourrait fonctionner sans un gros apport de bouffe matinale, alors qu'une cajou me suffirait pour tenir jusqu'à 10h.
Deuxième arrêt à Ponte-Leccia pour un nouveau café et confirmer à Philippe qu'une nouvelle fois nous ne nous verrons pas malgré nos présences simultanées en Corse puisque nous avons dévié de plan et décidé de rester en Haute-Corse.

En fin de matinée, nous sommes garés au pont génois d'Asco après une reconnaissance en voiture à l'aplomb du ruisseau de Corbica pour vérifier la possibilité de s'engager dans le lit de ce ruisseau pour démarrer notre tour plutôt que de prendre le sentier de la Pinara que j'ai parcouru l'année dernière. Des milliards d'arbres, des barres rocheuses à gogo, et l'impossibilité de repérer le sentier tracé en pointillé sur IGN (le contraire eut été surprenant)... On essaie mentalement de construire l'itinéraire d'approche zigzaguant entre les barres mais j'imagine que, sous le couvert des arbres, ça va être beaucoup moins évident d'appliquer notre belle théorie.

Le pont génois d'Asco

Reconstruction des sacs à dos avec abandon des cordes, quincailleries et sangles dédiées au Cavu, allègement du sac de victuailles à un strict minimum encore plus strict que calculé à la maison au vu des pentes, mais décision d'emporter la tente au cas où c'est que... C'est moi qui me la coltinerais, bénéficiant d'un sac plus léger que celui de Franck (c'était bien la peine que je me lance dans une démarche MUL).
Pour en finir avec les préparatifs qui traînent en longueur de par ma faute (je suis mou, mais mou, ce matin !), j'ai un œillet de laçage de mes pompes qui pète, histoire d'attiser une humeur déjà moribonde. M... !!! Je ne peux pas me lancer dans l'aventure avec une chaussure mal lacée, ni avec ma paire d'approche en tige basse. Moindre mal, en perçant le cuir de la chaussure, je peux passer le lacet par le trou et le nouer de manière tout à fait correcte. On est sauvé... On est parti... Il est midi... On est déjà en retard de deux heures sur mes prévisions.

Sur le sentier peu après le départ... facile ! Du pont génois, pour rejoindre la Corbica, deux options : la rive gauche de l'Asco par les pistes le long de la centrale et de la bergerie ou la rive droite dans les kékés. Moi, je suis partant pour les pistes et mettre un peu de distance d'emblée. Franck préfère s'y filer de suite. Et bien soit, ainsi soit-il. Au moins on va vite savoir de quel bois est fait mon Franckie, s'il est plus dur que celui des laricios qui nous attendent pas loin.
En tout cas, quant à son adresse à franchir les ruisseaux, on est vite fixé. Vingt mètres après avoir quitté le sentier, on arrive à la confluence de la Pinara qu'il faut traverser avec l'Asco. Il y a pas mal d'eau (il y a plus de neige que l'an dernier en altitude, à ma grande surprise).
Toute pierre mouillée est comme savonnée alors que les sèches ont beaucoup de grip. Je traverse sans trop de difficultés (ça c'est mon truc depuis que je pratique l'Islande et sa flotte à 3°C) puis me retourne pour rigoler en regardant mon grand échalas de compagnon faire de même.
Hop hop et plouf!!! le dernier caillou était glissant. A la baille jusqu'aux genoux et un bâton qui part vers l'Asco comme un exocet (à quoi ça sert les dragonnes, hein ?). Vif comme l'éclair je me jette pour récupérer le bâton et plouf à mon tour avec une godasse sous l'eau et le bâton qui définitivement nous échappe.
On sort de l'eau et première évidence intérieure pour moi : quelle équipe de choc nous formons!!! Qu'est ce que ça va être lorsque nous serons vraiment confrontés à de réelles difficultés. Heureusement qu'on se lance pas dans les torrents du Haut-Cavu. Les rivières seront moins présentes sur notre parcours ici.
On descend environ la dizaine de mètres qui nous sépare de l'Asco pour découvrir que le bâton s'est bloqué dans la dernière vasque de la Pinara. Ni une ni deux, je saute sur les pierres plates en contre-bas pour sortir la bête et me retrouve incapable de remonter les deux mètres que j'ai descendus. C'est à la force des bras de Franck uniquement que j'arrive à ressortir. Une équipe de vainqueurs !!! Je suis très pessimiste pour la suite de notre épopée.

Suivre l'Asco dans son lit s'avère impossible. Le courant est bien trop violent dans cette portion de la rivière. Et le lit est bordé sur la rive droite par une petite falaise de cinq mètres de hauteur bien aérienne qui empêche de longer au ras. Aussi, nous sommes obligés de remonter dans la forêt très rapidement et tentons en courbe de niveau de poursuivre vers la Corbica au gré des ronces et des ressauts rocheux. On croit toujours trouver un sentier qui finit toujours par s'effacer pour un autre et ainsi de suite. Des traces du passé surgissent de ci de là avec de beaux murets et une vieille bergerie en ruine. Quelques vaches se baladent dans la forêt. En face, on entend le bruit des motos sur la route de la station et les bâtiments de la centrale et de la bergerie en face semblent ne jamais vouloir passer dans notre dos.
Rapidement, les bâtons finissent accrochés sur le sac, tellement nous avons besoin des mains, soit pour escalader des petits blocs, soit pour écarter branches et ronces. Franck galère plus que moi, plus grand et muni d'un sac à dos plus volumineux, en plus d'être moins habitué à la rudesse de la forêt corse (quand on a survécu au massif des Ferriate à Bavella, on ne craint plus jamais la moindre forêt).
Bien que pas très dense, elle nous ralentit fortement. A la montre et à notre grande stupeur, nous nous rendons compte que nous avons parcouru seulement 1,5 km en un peu moins de deux heures. Un rythme à moins d'un km/h... Va falloir accélérer le mouvement sérieusement si l'on veut atteindre le haut de la Corbica ce soir.
Du chemin envisagé depuis la route, évidemment, rien ne se déroule comme prévu et les idées de passer au-dessus de tel rocher ou sous tel autre ne sont autre que douces utopies à ce moment-là. Le sentier IGN ne nous est pas davantage apparu. Pourtant on approche petit à petit et finissons par arriver sur un plateau dégagé avec une vue magnifique sur le bas de la Corbica et d'extraordinaires falaises en face. Des vaches sont planquées dans des abris de bergers. C'est amusant.

Arrivée à la confluence Asco -  Corbica

Sans le faire exprès, nous sommes selon la grosse mado à peu près à la hauteur visée ce matin. On a franchi le passage le plus inintéressant. A nous les choses sérieuses maintenant et la remontée du ruisseau de Corbica dont je n'ai jamais lu le moindre compte rendu. Nous ne savons absolument pas si ça passe.
Franck serait pour rester en ligne de niveau et rejoindre la rivière plus loin. Quant à moi, j'ai envie de voir la flotte et de progresser au plus près de l'eau. Une sorte de sentier nous amène en fait naturellement vers le lit et nous voici très rapidement au bord de l'eau et à remplir nos gourdes. Le temps est moite, vraiment chaud avec un vent très désagréable.
La remontée commence alors sous les pins laricios avec une végétation rase moins présente. Finies les ronces et autres épineux. La marche le long de l'eau est simple, sans obstacle majeur, mais nous entendons au loin le rugissement de quelque cascade qui risque de nous barrer le chemin.
Et, de fait, nous voici face au premier gros obstacle avec une cascade d'une bonne vingtaine de mètres en deux ressauts.

La cascade en double ressaut La cascade en double ressaut

Sublime, mais qui empêche de poursuivre au fil de l'eau. Le contournement par la rive droite se fait sans encombre sur une pente herbeuse juste entrecoupée de quelques mini-rochers. D'autres petites cascades sont croisées sur la route et contournées toujours aussi facilement avant de finir par buter sur la cascade de Rotella.
Quand une cascade porte un nom, c'est qu'elle présente une note particulière qui la démarque des autres souvent par sa taille. C'est vraiment l'obstacle qui m'angoisse dans cette remontée s'il doit y en avoir un. D'ailleurs, le chemin IGN théorique vient finir dessous.

La cascade de Rotella

D'une quinzaine de mètres d'un seul trait, elle pourrait peut-être être franchie en rive droite par un bon grimpeur si la roche était sèche. Pour nous elle est mouillée et nous ne sommes pas de bons grimpeurs. ...nous attaquons la remontée du versant en rive gauche au milieu des sapins Alors après avoir reculé d'une vingtaine de mètres, nous attaquons la remontée du versant en rive gauche au milieu des sapins dans une pente raide mais tout à fait praticable jusqu'à trouver une faille dans la roche qui nous permet de franchir l'obstacle de la cascade très rapidement. Pour m'amuser, je monte directement sur la dalle en adhérence. Franck un peu plus loin sur un terrain plus simple pour en arriver au résultat qu'il sort le premier et moi complètement bouilli de l'effort sur les cuisses.
Premier coup de mou pour moi qui nécessite chocolat et cacahuètes pour rétablir le bonhomme. Le courant d'air chaud est encore plus désagréable comme si on avait ouvert le couvercle de la casserole de ratatouille sous nos visages.

La progression reprend ensuite sur terrain toujours aussi curieusement facile malgré quantité de troncs en travers du lit et petites cascades. L'ensemble du ruisseau est de tout premier ordre d'un point de vue esthétique. Et pour finir la partie la plus intéressante, on termine sur un immense plan incliné avec des dalles très larges le long de l'eau. Comme j'adore ces passages là plus que tout autre, je nous fais progresser au plus près de l'eau quitte à s'engager dans les parties mouillées et casse-gueule, où Franck ne manque pas de s'en prendre une sans gravité avec de l'eau jusqu'aux genoux dans une glissade rappelant celle de la Pinara il y a quatre heures déjà.

...sur terrain toujours aussi curieusement facile malgré quantité de troncs en travers du lit ...et petites cascades

...on termine sur un immense plan incliné avec des dalles très larges le long de l'eau

La fin plus facile de la remontée du plan incliné La fin de la remontée du ruisseau de Corbica

Le dernier tronçon jusqu'à la bergerie de Corbica est vraiment beaucoup moins intéressant, le ruisseau se transformant dans sa partie haute en torrent linéaire sans rupture de pente ou vasque significatives, comme souvent en Corse. C'est moins amusant et donc beaucoup plus fatiguant moralement et j'arrive dépouillé à la bergerie tandis que Franck conserve son sourire de Joker dans Batman (mais ça va pas durer, il va faire connaissance du vrai maquis d'altitude dans pas longtemps).
La bergerie de Corbica est un tas de pierres rudimentaires sans aucun confort qui semble toutefois étanche et qui permettrait de se protéger d'un gros orage sans problème. Toutefois, il serait beaucoup plus sympa de dormir à la cabane des chasseurs de la Pinara dans la vallée d'à côté, mais il va falloir mettre les bouchées double pour la rejoindre avant la nuit.
Nous repérons, après un petit cours de cartographie, le col sur la crête séparant Corbica et Pinara et tentons de repérer le chemin vaguement cairné qui y mène. Ce chemin est sûrement l'officiel qui menait à la bergerie dans les temps où celle ci était encore occupée. Vu l'heure, nous n'avons plus trop le droit de nous égarer si nous voulons atteindre la cabane. Malgré quelques pertes du chemin et un final où je prends tout droit sous le col sans plus m'embêter avec le repérage du chemin, nous arrivons là aussi avec une facilité déconcertante au col (Bocca a Rundinaia) couvert d'une magnifique pelouse bien grasse. La vue nous révèle enfin, d'un côté les pentes encore bien enneigées du Capu Biancu et, de l'autre "Ma" crête du Cornodello (cf. l'an dernier) et les gros sommets de Popolasca que sont la dent d'Asco et Cima a i Mori. Imaginer que ces sommets sont accessibles depuis le côté où on les découvre nous laisse pantois (même moi qui y suis déjà monté par là).

Dans la montée vers Bocca a Rundinaia Arrivée à Bocca a Rundinaia

Crête du Cornodello, Dent d'Asco, Cima a I Mori

...et aussi avec la perte des arbres, surgissent enfin les terribles calycotomes Du versant ombragé de la Corbica, nous basculons sur celui beaucoup plus ouvert de la Pinara... Et aussi avec la perte des arbres, surgissent enfin les terribles calycotomes, affreusement épineux et rigides où une chute dessus vous fera ressembler à une partition pour orgue de barbarie. C'est pourquoi j'utilise en Corse toujours un bon gros pantalon de treillis. Franck a pris un pantalon léger... Je ne l'ai pas compris au départ en traçant droit comme à mon habitude au travers de la montagne. Tout à coup, je le trouve à 100 mètres derrière moi avec son éternel LOL inversé. Pourtant le terrain est enfin simple. Pas d'escalade, pas de chemin à trouver, pas de ruisseau glissant, juste bourrer comme des ânes jusqu'à la cabane. Quand enfin je comprends que ça le pique un max, on s'efforce de trouver des drailles tracées par les vaches (comment font-elles pour ne pas devenir folles là-dedans) pour limiter au maximum l'inconfort de la caresse. Mais il y a plusieurs km à franchir pour en sortir et rejoindre la cabane.

...nous basculons sur celui beaucoup plus ouvert de la Pinara Apprentissage du franchissement de calycotomes !

...nous avons la chance de voir quelques troupeaux de mouflons Des torrents dévalant de Capu Biancu, nous avons la chance de voir quelques troupeaux de mouflons. Je commence à être vraiment naze. Franck le semble tout autant. Je le vois à sa difficulté à franchir ces fameux petits torrents aux bords parfois accidentés.
Arrivée vers la cabane de Pinara Une fois le sentier officiel L'Ile-Rousse Corte rejoint, il nous faut cinq minutes pour arriver à la cabane de Pinara. Elle a beaucoup souffert depuis l'an dernier et une partie du toit n'est plus étanche. L'état de propreté laisse à désirer. Quel dommage !!! A cause de l'indélicatesse de ses visiteurs, de sa rare fréquentation ou juste l'usure du temps et des intempéries ?

La cabane de Pinara

Statistique gps du jour : 12km en 7h30 (ça fait mal de constater la criante vérité) pour 1200m de D+ et 500m de D-.

Carte du Jour 1 - Ascu - ruisseau de Corbica - cabane de Pinara Rappel ci-contre à gauche de la carte avec le tracé du parcours entre Asco et la bergerie de Cabane pendant le 1er jour.

Voir les photos de la première journée de ce raid dans le diaporama ci-dessous :

Diaporama "Raid Ascu - Popolasca/David Abadie - mai 2015"