Raid Ascu - Popolasca mai 2015 - J2 (David Abadie)
Par PhE le lundi 06 juillet 2015, 10:00 - Ravinisme - Lien permanent
Voici la suite de notre nouvelle série d'articles à "suspense" relatant le raid annuel de David dans le massif de Popolasca : David nous raconte ici sa 2ème journée avec son copain Franck dans une nouvelle improvisation entre la bergerie de Cabane et Vetta di Muro.
Encore une belle journée de randonnée, racontée avec l'humour et l'auto-ironie traditionnels de David, qui nous emmène sur des traces hors-sentiers et un parcours imaginé en temps réel sur le terrain dans ce massif complexe et chaotique que constitue le Popolasca...
Rappel du récit des quatre étapes du raid, écrit par David lui-même, que vous allez pouvoir lire sur le blog, sous la forme de quatre articles correspondant à chacune des journées passées sur le terrain :
- Introduction : Objectifs et préparatifs du raid
- Jour 1 - Jeudi 14/05/2015 : Ascu - ruisseau de Corbica - cabane de Pinara
- Jour 2 - Vendredi 15/05/2015 : Cabane de Pinara - Vetta di Muru
- Jour 3 - Samedi 16/05/2015 : Vetta di Muru - Cabane de Galghello
- Jour 4 - Dimanche 17/05/2015 : Cabane de Galghello - Ascu
Pour suivre plus facilement les détails de l'article, vous trouverez à gauche de cette page la carte de la partie Sud de la vallée d'Asco avec le tracé des parcours entre la bergerie de Cabane dans le vallon de Pinara et les "thermes" de Vetta di Muro.
Vendredi 15/05/2015 : Cabane de Pinara - Vetta di Muro
Vu que nous sommes partis sur un plan B non préparé, déjà dès le deuxième jour, je ne sais déjà plus trop quoi proposer de nouveau pour moi. Qui plus est, c'est la pluie qui nous réveille à 6h du mat, ajoutant encore à l'incertitude des décisions à prendre.
La certitude justement, depuis hier soir, c'est de sortir de la vallée de la Pinara. Je n'avais pas envie de sortir par le GR, parce que je l'ai pratiqué en 2009 lourdement chargé et que je sais les 600m restants sont redoutables de raideur. Aussi je regardais avec envie les possibilités par les ruisseaux vers Capu Biancu ou ceux montant vers la crête du Cornodello, mais, ce matin, la pluie a anéanti toutes ces idées. Trop dangereux. Du col, on verra les options notamment celle, longue, d'aller voir les lacs d'Occhi Neri et Maggiore.
Bref, on remonte donc couverts de gore-tex jusqu'à Serra Piana avec des pentes donc toujours aussi désagréables, mais j'éprouve moins de difficultés que je ne le redoutais. Çà, c'est du bon terrain de décathlonien pour mon Francky qui a retrouvé son sourire inoxydable. Quand faut de la cuisse et du braquet, le gars, il répond présent.
Au col ça souffle fort, vraiment très fort, alors l'idée de la crête et de la suivre pendant des heures en courbe de niveau pour aller et venir des lacs s'envole dans les rafales qui nous glacent les sangs. Enfin moi, parce que Franck a envie d'en découdre avec Éole. Mais il cède rapidement à la raison et à la sagesse de son aîné (de peu).
L'idée nouvelle qui en ressort est donc de rejoindre la cabane de Galghello (MA cabane) sur le versant niolain et de voir l'évolution de la météo. S'il fait beau, on ira voir les ravins en-dessous en laissant les sacs à la cabane ou on ira à Vetta di Muro en passant par Bocca Meria si le temps reste pluvieux. Autant dire bof bof pour le plan naze. Mais bon, faute de grives... en avant pour la crête pour ma énième fois.
Sur la crête, rechignant à sortir la carte sous le mauvais temps, je commets une première faute d'appréciation, me fiant uniquement à ma mémoire et quitte le fil de la crête pour rejoindre le premier épaulement sud (côte 1881) le confondant avec le Capo di Lino. Au fond de moi, je sens que je fais une fève. La crête me paraissait beaucoup plus longue avant d'arriver à Capo di Lino et la vue de la bergerie en contrebas ne ressemble pas du tout au Galghello dont je me rappelle. Galghello est en lisière haute de forêt alors que celle que je vois pourtant dans le même axe que le Galghello de mon souvenir est en retrait sur une butte sur le versant opposé. Çà ne colle pas. Il me faut peu de temps après avoir sorti la carte pour recoller les morceaux du puzzle et me resituer dans l'espace. C'est celle de Vecchiali que nous surplombons.
Une fois repartis, nous passons rapidement Punta Jumentella et arrivons au-dessus de Galghello pour de bon. Je la reconnais du premier coup d’œil. Il ne pleut quasiment plus et je ne sais pas si c'est la vue des calycotomes (genêts ? - NDLR) rappelant la purge de la veille, mais Frank n'a pas du tout envie de descendre et propose de continuer sur la crête pour la source de Vetta di Muro qui lui semble bien plus attractive (faut dire que j'ai bien vendu l'endroit avec sa source et les cures thermales médiévales avec le petit village de curistes). C'est pas Enghien-les-Bains non plus, mais ça, il sait pas. C'est vachement mieux en fait.
On poursuit donc sur cette crête interminable en direction de Bocca Meria, chemin traditionnel d'accès à la source. Lorsque, tel le braque de Weimar (celui qui m'a mordu au col de Bavella à Noël), je tombe en arrêt devant un chemin énOOOOrme rejoignant la ligne de crête du Cornodello entre a Calancha alla Lama et le Capu di u Dente. Le fameux chemin que je visais et espérais découvrir l'an dernier et que le gaz du Cornodello m'avait amené à quitter pour le fond du ravin bien avant d'arriver au bout de la crête.
Il fait maintenant soleil et mon cœur s'emballe. L'aventure est là sur l'autre versant qui nous attend pour nous sortir des options tiédasses envisagées dix minutes plus tôt. Je sais aussi ce qui nous attend si on se lance là. Il y a du potentiel pour pleurer de désespoir dans l’entrelacs des ravins de Vetta di Muro. Bien qu'ayant précisé avec insistance les risques, Franck est plus que partant pour tenter le passage des sources par le bas. Sauf que Franck ne connaît pas Francis Aulne, le serial killer de la montagne corse, qui sévit au-dessus de 1500m.
En courbe de niveau, nous rejoignons donc le col où aboutit le sentier miraculeux. Lequel, miraculeusement, disparaît tel un mirage lorsque l'on pose le pied dessus.
Vetta di Muro est à 2km à vol d'oiseau. La rejoindre en ligne droite me semble immédiatement compromis. Tout n'est qu'immenses barres et dalles rocheuses vertigineuses. Il existe peut être des faiblesses permettant de les contourner mais ça me semble tellement compliqué, beaucoup trop pour nous y filer tous les deux, moi grimpeur de faible niveau et Franck totalement inexpérimenté. Peut-être avec une corde, on pourrait prendre le risque, mais sans, il est hors de question que je l’entraîne vers un carton qui nous tend les bras. En revanche vers le bas, si on arrive à rejoindre la confluence de tous les ruisseaux qui convergent pour donner naissance au Logoniello, "à peine" 500m plus bas, on passe en terrain connu et je pourrai nous guider tranquillement via la bergerie des Strette. Il suffit juste de descendre 500m d'un ravin autre que pentu.
On passe pas mal de temps au col avant d'oser se jeter dans le vide... Au fond à l'horizon la mer... Heureusement, pour ne pas tomber en chute libre dans le ravin, on profite de l'aide généreuse d'une végétation toujours aussi empreinte à nous faciliter la vie. Les calycotomes nous harponnent en haut du ravin avant que Francis Aulne ne nous tende ses bras généreux lorsque nous approchons enfin de l'eau.
Et nous voilà enfin dans l'antichambre de l'enfer comme je le redoutais un peu. Les aulnes, les terribles aulnes aux branches emmêlées, rigides, inextricables, quasi infranchissables de par leur densité lorsqu'ils sont de grande taille. Globalement, ce n'est pas si terrible que prévu car nous sommes en descente et progressons dans le sens de l'orientation générale des branches. A contrario, remonter se révèlerait, sinon impossible, au moins d'une difficulté indicible. On affronte bien quelques passages de gloire égratignants lorsque nous devons traverser le ruisseau, barré sur notre rive par des ressauts rocheux trop importants. Ou lorsque l'on se glisse au milieu de quantités de bois morts générés par je ne sais quel cataclysme récent, avalanche, crue ou tempête.
Nous rencontrons le pire des moments lors d'un sérieux encaissement formant un goulet d'une cinquantaine de mètres qui concentre en un si court chemin tous les problèmes de la montagne corse. Un court pas d'escalade facile mais descendant sur roche glissante, enchainé d'une reptation sous les bras de Francis coincé contre la paroi... avant de s'emberlificoter dans les branches mortes qui tapissent le ruisseau, juste contre un énorme pont de neige sous lequel il se jette avec fracas, ajoutant une touche d'angoisse en imaginant les conséquences d'une gamelle qui nous entrainerait sous le pont.
Il va sans dire que Franck déteste ce passage particulièrement. C'est vraiment dans les aulnes qu'il éprouve les pires des difficultés, ce qui n'est rien de moins que normal. Pour ma part, je passe curieusement avec une relative facilité déconcertante. L'habitude ? En tout cas, toujours pas besoin de se frayer le chemin à grands coups de machettes.
La remontée sur la rive en face est aussi dégueulasse avec un passage escarpé terreux bien croulant. Lorsqu'on prend pied sur le dur enfin, je repère aussitôt le plateau de la bergerie des Strette. On aura gagné si je retrouve le couloir qui permet d'éviter la cascade du bas du ruisseau des Strette. J'avais trouvé la solution l'an dernier. Nous la retrouvons aussi aisément cette fois également après que j'ai reconnu le couloir du Cornodello que j'avais dévalé la dernière fois, encore plus raide que celui du jour mais libre de végétation.
Nous faisons une grosse pause avant d'attaquer la remontée à la bergerie sur une dalle idéalement située sous une cascade dans un cadre merveilleux. Le torrent dévale sur un plan incliné en faible pente. Ici on touche au bonheur après la grosse heure de galère que nous venons de vivre.
Il fait chaud, on mange, on boit, on se repose, je prends des photos tous azimuts. Je ne sais à quoi pense Franck mais en ce qui me concerne, je réfléchis au fait d'être à deux sur des terrains aussi isolés et exposés. J'ai une peur rétrospective de mon passage en solo l'an dernier dans un endroit où un accident serait dramatique. J'ai la responsabilité de le guider en des lieux aussi sauvages qui me pèse un poil mais j'éprouve le grand réconfort de la sécurité d'avoir un coéquipier. Ça me questionne sur ma façon de fonctionner depuis des années et ma préférence farouche pour le solo. La descente l'a dépouillé. Ça se voit sur lui. Et moi c'est l'idée de la monstrueuse remontée sous la source qui m'écrase.
L'accès à la bergerie est une formalité. Repause avec quelques selfies sur les murets de cet endroit hors du temps.
Et il faut maintenant retrouver le cheminement en traversée pour rejoindre la bas du ruisseau de Vetta di Muro. Il faut rester à l'altitude 1400m environ. Il me semble que j'ai moins d'intuition que l'an dernier dans la recherche des passages et on fait pas mal de montagnes russes alors que j'avais souvenir d'une traversée linéaire.
On retrouve l'extraordinaire tafonu déjà découvert l'an dernier avant une dernière petite descente sous une dalle inclinée avec cascatelle que l'on franchit à sa base entre le mur et un névé. Fraicheur garantie.
Nous arrivons enfin dans le ravin du ruisseau de Vetta di Muro qui est couvert à cette altitude d'un gigantesque névé avec un affaissement au milieu du ruisseau qui allume toutes mes alarmes. Verboten!!! J'étais passé dans le lit l'an dernier avec remontée initiale en rive droite pour retraverser à grands coups de machette. Ensuite, le ruisseau de Vetta di Muro se partage en deux au-dessus de 1500m. L'eau passe dans la branche droite. J'avais remonté la gauche sur un névé impressionnant pour échapper aux aulnes et finir éreinté à la source. Avec l'expérience de la dernière fois et la quantité de neige dans les vallons, on décide de rester sur la crête terreuse entre les deux ravins supérieurs, ce qui nous permet d'éviter un maximum de végétation.
Pendant la montée, très raide, je décroche un rocher d'au moins trente kilos qui dévale la pente en roulant juste à côté de lui, suffisamment lentement pour ôter tout stress d'accident mais assez inquiétant pour qu'on écarte nos distances de sécurité.
La fin de la montée est affreuse, idem à mon souvenir même si je suis moins fatigué (jamais je n'avais été aussi fatigué) mais on tire sur les mollets comme des brutes et je repère très vite à 1700m la mythique source de Vetta di Muro. J'ai un peu plus de mal à découvrir les cabanes, si bien intégrées à leur environnement bien que je connaisse leur emplacement. On y dépose les sacs, complètement exténués, mais avec la satisfaction d'une réussite totale malgré un début si mitigé.
Aller retour à cette source dont je ne louerai jamais le caractère exceptionnel. L'une des "places to be" de Corse et donc de l'univers. Dans le livre d'or, il y en a un d'ailleurs qui est parfaitement d'accord avec mon assertion, décrivant, je cite "un lieu fantastique pour une b... fantastique". Nous n'avons pas tenté de vérifier la chose mais c'est certainement pas faux si on craint pas la poussière!!! ;)
Sur les cinq cabanes du "village", on choisit la troisième. Une bâche recouvre le toit de pierre sèche (les cabanes sont construites comme les bories provençales, toutes en pierre). Franck la remet en place au cas où la nuit serait humide. Il est sûr que l'étanchéité ne sera pas parfaite avec ce type de construction. On mange appuyés aux murs, regardant le coucher du soleil sur Capu Biancu. Les nuages commencent à s'accumuler. Les jeux de lumière sont simplement magiques.
J'aime Vetta di Muro plus que nulle part ailleurs en Corse. Je crois que Franck aime bien aussi, surtout avec un tel itinéraire d'accès... Il a pas le temps de me le confirmer qu'il dort déjà. Il fait encore jour. Je le suis dans la minute.
Statistique gps du jour : 10h de marche pour seulement 12,3km (dont la moitié sur sentier et crête facile). On a passé un temps monstrueux dans les ravins.
1400m (1820m ?) de D+ et 900m (1280m ?) de D-. Ça confirme la raideur des pentes.
Rappel ci-contre à gauche de la carte avec le tracé des parcours entre la bergerie de Cabane dans le vallon de Pinara et les "thermes" de Vetta di Muro.
Voir les photos de la deuxième journée de ce raid dans le diaporama ci-dessous :
Commentaires
J'ai encore moins de regrets de te la faucher que je viens de lire ta boucle dans le Verjello et que là aussi tu seras passé avant moi à la fontaine du paradis.
Alors que pendant que moi, je me fatigue sur les sentiers usés et patinés du continent, vous, là, tous les deux, vous m'explosez toutes mes idées de première (je sais, les premières n'existent plus depuis dix siècles au moins en Corse mais j'ai envie d'y croire).
Je suis en train de me dire en outre qu'il doit y'avoir moyen d'améliorer ton idée vers Vetta di Muro. L'idée est en train de germer, pas encore très claire mais je vois les contours se dessiner.
A suivre.
Je proteste. C'était mon idée d'abord. Qui te l'a soufflée ?
En tout cas si tu y arrives, je suis preneur car dans ce cas je préférerai passer par Bradani pour rejoindre le col Traunatu puis Vetta di Muro. Là, ce serait vraiment une rando exceptionnelle !!
C'est sans doute parce que c'est la première fois que je raconte une aventure partagée. Franck n'est pas intervenu dans l'écriture et j'ai raté forcément beaucoup de ses émotions et je n'ai pas su le rapporter correctement.
Si tu avais vu sa tête lors de la traversée du pont de neige LOL
Et il m'en a parlé depuis (mais c'est pour le prochain article), pour sortir de Vetta di Muro dans les circonstances particulières que tu sais, il aurait bien aimé que la téléportation existasse.
C'est ça que j'ai pas su retranscrire.
Sinon, cet été aussi je vais essayer (peut être si j'ai encore de la cuisse après Bavella) de suivre votre première partie du col sous Traunatu mais tenter de bifurquer ensuite pour tenter le passage 1724 sous Cima Laggiaro et ainsi relier Bradani.
Salut David,
Même si tu as trouvé à la relecture que ton style sur ce coup n'était pas terrible, j'avoue pour ma part que j'ai bien aimé le caractère épique (presque au même niveau que celui de l'année dernière) de ta narration...
Encore un nouvel itinéraire pour rejoindre Vetta di Muru, en attendant qu'on vienne y ajouter un autre avec Olivier en complétant notre montée de l'année dernière au col sous Traunatu... 8-)