Raid Ascu - Popolasca mai 2015 - J3 (David Abadie)
Par PhE le mercredi 22 juillet 2015, 00:15 - Ravinisme - Lien permanent
Toujours la suite de notre série d'articles à "suspense" relatant le raid annuel de David dans le massif de Popolasca : David nous raconte ici sa 3ème journée avec son copain Franck dans une reprise partielle de son parcours de mai 2014 entre Vetta di Muro et la cabane de Galghello.
Encore une belle journée de randonnée, racontée avec l'humour et l'auto-ironie traditionnels de David, qui nous emmène sur des traces hors-sentiers et un parcours imaginé en temps réel sur le terrain dans ce massif complexe et chaotique que constitue le Popolasca... et une belle surprise que trouver la neige tombée au-dessus de 1500m en cette période de l'année au réveil à Vetta di Muru
Rappel du récit des quatre étapes du raid, écrit par David lui-même, que vous pourvez ou allez pouvoir lire sur le blog, sous la forme de quatre articles correspondant à chacune des journées passées sur le terrain :
- Introduction : Objectifs et préparatifs du raid
- Jour 1 - Jeudi 14/05/2015 : Ascu - ruisseau de Corbica - cabane de Pinara
- Jour 2 - Vendredi 15/05/2015 : Cabane de Pinara - Vetta di Muru
- Jour 3 - Samedi 16/05/2015 : Vetta di Muru - Cabane de Galghello
- Jour 4 - Dimanche 17/05/2015 : Cabane de Galghello - Ascu
Pour suivre plus facilement les détails de l'article, vous trouverez à gauche de cette page la carte de la région du massif de Popolasca avec le tracé des parcours entre Vetta di Muru et la cabane de Galghello.
Samedi 16/05/2015 : Vetta di Muru - Cabane de Galghello
Le programme ? On n'a pas eu trop le temps d'y réfléchir hier, occupés à échapper à Francis Aulne. L'idée : monter à Cima a i Mori, plutôt par le ravin à l'aplomb de la source qu'Olivier avait décrit (@ philippe, c'est bien Olivier ?) et puis on avisera. Un plan bien maigrichon donc.
06h00 : supplice chinois, la goutte d'eau qui tombe sur le sol... Plic, plic, plic... Chacun de son côté dans son demi-sommeil : "bah ! c'est sur l'autre trompette que ça tombe"). Au bout d'un moment, il y en a un des deux qui dit à l'autre : ça va ? Tu te mouilles pas trop ? Et l'autre : ben non, puisque c'est sur toi que ça coule.
Alors, après un saut pour vérifier qui a raison, il s'avère qu'il pleut partout dans la cabane malgré la bâche. Et que plus ça va, plus ça dégouline entre les pierres non jointées et que ça devient très désagréable dans nos duvets mouillés. Franck (ça, je me rappelle) me pose une question des plus pertinentes : "il pleut ?". Et moi, dans l'axe de l'entrée avec vue sur l'extérieur : "non non... IL NEIGE !!!" (et vous croyez qu'il me croit ? faut dire que moi-même je dois me pincer pour que ça monte au cerveau).
16 mai, 1700 mètres d'altitude dans un des ravins les plus raides de Corse, il neige. Si ça doit tenir, on n'est pas dans le pétrin !
On se prépare dans le froid et l'humidité générale. L'atmosphère est dégueulasse. On se rapatrie dans la cabane n°2, pour l'instant un peu plus sèche. P'tit déj et brossage des dents sous une neige qui s'épaissit. Pas trop envie de sortir, mais il pleut rapidement presque autant que dehors, alors en gore-tex pantalon et veste, on sort pour attaquer la montée de Cima a i Mori.
J'hésite beaucoup à attaquer le couloir de la source que j'avais lu très raide et compliqué et serais plutôt partant pour mon chemin de l'an dernier qui me semble plus safe. Sauf qu'hormis le premier tiers du ravin barré de quelques falaises, il semble vu des cabanes vraiment pas plus difficile que celui de l'an dernier. Alors, avec l'accord de Franck, on va quand même tenter le couloir de la source, quitte à faire demi-tour si ça devient trop dur et glissant. Tout seul et sans sa motivation et son enthousiasme sans faille, jamais je ne me serais lancé dans cette tentative.
Première partie sous pluie et neige mêlée, il faut s'extraire des aulnes et des petites barres du bas du ravin juste au-dessus de la source. C'est la partie la plus raide du couloir où il faut mettre les mains et franchir pas mal de ressauts glissants. 50 mètres plus haut, on découvre un magnifique cairn qui nous confirme l'existence d'un passage par là. Par une petite vire et un passage sous un rocher coincé, on atteint la partie qui nous apparaissait facile depuis les cabanes. Ben, voilà en une demi-heure, on a déjà gagné. Maintenant au milieu d'une végétation rase, il s'agit de monter en lacets plus ou moins larges pour avaler la raideur de la pente. La neige se renforce et le paysage est maintenant vraiment blanc. Bien que très beau et impressionnant, je force pas pour sortir du couloir avant d'être vraiment en difficulté dans ces mauvaises conditions. Faut pas être là quand il neige (et la neige, pour moi, c'est de la kryptonite blanche, je déteste).
En haut, le couloir se divise, j'opte au hasard pour celui de gauche qui me semble un peu moins accidenté à sa sortie sur la crête. Franck me demande pourquoi celui-là plutôt que l'autre. Dans ces cas là, quand on sait pas, faut faire semblant d'être sûr de soi et noyer le poisson avec une réponse à la con : "c'est évident que c'est par là, on voit bien que le couloir passe entre la dent d'Asco et Cima a i Mori et que d'après la carte il faut sortir à gauche sinon on sort à droite et si on sort à droite on n'est plus assez à gauche mais au milieu de la droite et là c'est plus pareil". Explication claire et acceptée comme les versets de la bible, j'ai du bol. Franck, maintenant que tu lis ces lignes, tu découvres les incertitudes permanentes qui ont jalonné tes pas (et les causes des petits soucis que tu sais).
Mais bon, arrivés sur la crête, je découvre qu'on est pas sur le fil mais sur une arête secondaire. Petit moment de solitude glaciale qui me comprime les entrailles deux minutes. Le temps de prendre deux photos pour faire croire que je suis serein et de réfléchir à notre position. La visibilité est minable. On ne voit pas les sommets et j'ai perdu tous mes repères visuels. Franck s'en est remis à moi depuis notre plongée hier dans la vraie Corse sauvage et il est de mon seul ressort de nous sortir de là, ce qui est tout à fait normal. Partons à droite pour rejoindre la droite de la gauche. Ca nous fera monter, ce qui est fondamentalement pas faux lorsqu'on veut gagner un sommet. De cette manière empirique on rejoint une nouvelle grosse crête où je commets une énorme erreur d'appréciation, sans conséquences mais qui va nous faire basculer sur une journée monstrueuse non prévue initialement.
En arrivant sur la crête, je crois reconnaître dans la pente d'aulnes de l'autre versant le couloir de descente vers le passage côté 1755, brèche qui permet de franchir les aiguilles de Rundinaia et qui fait saliver tous les "explorateurs" de ces aiguilles. La même brèche que j'avais ratée l'année dernière pour le ruisseau de Paratella. Pour moi la Cima a i Mori est à notre gauche. Nous partons donc dans cette direction pour le sommet, logique, quoi ! Sauf que, à force de faire l'andouille entre la gauche et la droite... En contournant les contreforts de la montagne dont je connais l'accès, plutôt que de basculer sur la vire qui monte, j'arrive au-dessus d'une falaise avec une vue plein nord sur la Balagne alors que je devrais trouver une montagne !!! Débile, grotesque, honteux, je comprends immédiatement mon erreur. Nous sommes partis vers la dent d'Asco et nous surplombons les sources du ruisseau de Negretto. Je nous ai amenés sur le chemin traditionnel de la bergerie de Scaffa. La pente d'aulnes n'est autre que le départ de la Terrivola.
J'explique mon erreur à Franck en faisant le point sur la carte. Cima a i Mori est derrière nous. J'ai une de ces flemmes d'y monter. J'aime pas faire demi-tour, surtout avec une météo aussi bouchée et l'absence de panorama. Je sens Franck un poil déçu de ne pas aller au sommet mais j'ai une proposition alternative d'exception. Refaire mon chemin de l'année dernière via l'arche d'Alsato, le ravin de Cassa et le ruisseau de Paratella pour aller dormir à Galghello. C'est un chemin long, monstrueux, extraordinaire. Sans la connaissance des passages, on ne pourrait passer en une journée. Nous serons plus bas en altitude et à l'abri de la neige.
Adjugé... Et nous refaisons pas à pas mon chemin de l'an passé (cf. récit 2014 pour les détails) que je trouve toujours aussi beau. Qu'est ce que cette Terrivola est belle ! Vasques, cascades, toboggans. Je ne m'en lasse pas. Peu après Scaffa, le soleil fait son apparition et les nuages se dispersent.
Sous la bergerie d'Alsato, nous rencontrons notre premier taureau et son meuglement primaire. De la bergerie en ligne droite dans la partie inintéressante des calycotomes, on arrive très vite au col de mon bivouac à l'altitude 1491. Le crochet à l'arche d'Alsato. Pour moi, c'est le paysage le plus spectaculaire de notre raid. Quelques pas d'escalade pour s'amuser et rejoindre le creux de l'arche. Beaucoup de photos.
Et c'est le moment d'attaquer de nouveau la Corse très très sauvage dans le ravin de Cassa. Pour changer de la dernière fois, plutôt que de me jeter dans le ravin, nous essayons de suivre une ligne de cairns en courbe de niveau qui aboutit très vite à un cul de sac, bloqués face une falaise. On redescend, de manière un poil scabreuse, un peu beaucoup plus bas pour contourner les obstacles rocheux et, très facilement, je nous amène à l'objectif intermédiaire du col 1531 et sa très raide montée en croisant le cadavre assez frais d'une vache au pied de la montée.
Petite pause au col puis on repart en essayant de ne pas perdre trop d'altitude pour rejoindre mon fameux couloir en Y qui amènera à la brèche du ruisseau de Paratella. Nous sommes deux, je connais le chemin, je reconnais l'endroit mais c'est avec soulagement qu'on arrive au Y. Je suis inquiet à m'en ronger les ongles, ça n'a pas de sens. Je sais qu'on ne risque plus rien mais j'ai des peurs rétrospectives de mes errements de l'an dernier dans cet endroit aussi compliqué, aussi isolé. Ici aussi, je me questionne sur mon fonctionnement solo. Quel réconfort d'être à deux, même en connaissant le chemin (je dois ramollir avec l'âge).
Du Y au passage du ravin de Paratella, on longe les aiguilles. Les points de vue sont indicibles. Franck est en admiration permanente. Fantastique est cet endroit.
Et c'est avec une fierté non dissimulée que je lui fais découvrir la brèche du ravin de Paratella (découverte par erreur). J'essaie de lui expliquer mes doutes, mes errements, mes erreurs, mes recherches, mes espoirs et désespoirs et le plaisir sans parler de la nécessité de trouver ce passage unique, étroit. Le seul pour s'échapper des aiguilles. A la finale, c'est la tentative d'expliquer le plaisir de la recherche d'itinéraires en milieu sauvage, complètement abandonné. Je crois que j'ai réussi.
C'est bien sûr très dur physiquement même si notre chemin a été en majorité de profil descendant. On a avalé moultes km et il nous en reste encore une tartine à se frapper. J'aurais bien voulu plonger dans Paratella mais nous sommes trop juste en timing et au bout du rouleau. Le contournement en courbe de niveau du ruisseau de Frassello est épuisant. J'ai basculé en mode jambes automatiques. Je ne pense plus à rien. On ne se parle plus. Je sens que Franck commence à piocher très fort aussi dans les réserves. Pour éviter les montagnes russes au maxi, on se tape quelques dalles en traversée pas très sympathiques et on arrive sur le plateau au dessus de la bergerie de Teghia, dénué de calycotomes pendant un court moment.
De la pelouse, de la vraie pelouse...
Les harpons ressortent vite puis nous rentrons dans la forêt de sapins. Heureusement que je sais que la bergerie de Galghello est en haut de la forêt. Ca nous évite de nous paumer dans les bois (Franck, ce passage me rappelle férocement notre retour quasi nocturne au col du fa l'automne dernier). En vue de la bergerie, on tombe sur les plus gros calycotomes épineux depuis le début de notre voyage. Moi je fais le sanglier comme un barbare au milieu. Franck utilise un nouveau concept (utilisé aussi par mes soins en haut de Bavella en short) consistant à sauter dessus de l'un à l'autre comme si c'était des ressorts. C'est marrant, c'est tellement rigide qu'on ne touche plus le sol. Ca marche pas trop mal mais on y laisse quand même la peau des mollets.
Cabane de Galghello. Encore un peu plus dégradée, la partie du toit côté sud n'a plus de tôles. En revanche, ils ont fait un sacré ménage et elle est plus propre que l'an dernier. Enfin, ménage est un grand mot. Ils ont juste jeté dehors ce qui était dégueulasse et hors d'usage.
On est carbonisés, encore plus que les autres jours. Pour se faire plaisir on allume la cheminée et on profite d'une superbe flambée. En 2009, j'avais enfumé la cabane. Cette fois, avec les appels d'air par les fuites du toit, la cheminée tire magnifiquement.
Ce soir c'est moi qui emporte le concours de l'endormissement tombant avant d'avoir la tête posée sur l'oreiller. Franck doit me suivre de près dans les rêves.
Statistique GPS du jour : 14.5 km (c'est tout ?) pour 1100m de D+ et 1200m de D-.
Rappel ci-contre à gauche de la carte avec le tracé des parcours entre Vetta di Muro et la bergerie de Galghello dans la traversée du versant Sud de la crête Bocca di Serra Piana - Bocca Meria.
Voir les photos de la troisième journée de ce raid dans le diaporama ci-dessous :
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