Aventures archéologiques : 1. Castellucciu de Punta di u Castellucciu (Sari)
Par PhE le samedi 19 novembre 2011, 14:04 - Archéologie - Lien permanent
Ce nouvel article va inaugurer la catégorie "Archéologie" du Blog en y relatant la première aventure dédiée à ce nouvel objectif de "randonnée", randonnée étant un terme plutôt mal adaptée à la prospection archéologique comme vous pourrez vous en rendre compte.
Le point de départ de ce nouveau centre d'intérêt ? Comme toujours avec Internet, ce fut un premier contact virtuel avec un visiteur du Blog, Dominique (Dumé) Martinetti, qui me fit l'honneur d'un commentaire sur le blog le 10 mars dernier en me félicitant pour ma connaissance du terrain, mais aussi en m'indiquant qu'il manquait beaucoup d'itinéraires intéressants dans la région de Portu. Un échange de messages ultérieurs m'apprit ainsi qu'il avait exploré plusieurs parcours sauvages autour des Tre Signore et du Capu d'Ortu qu'il me localisa sur une carte IGN en pièce jointe (ce sera sans doute l'occasion d'un prochain séjour à Portu pour aller les réaliser avec lui), qu'il était entrepreneur à Ajaccio et surtout archéologue amateur, passionné par le patrimoine insulaire et son histoire, découvreur du site archéologique Cuciurpula, proche de son village familial de Sorbollano, et président de l'Associu di Cuciurpula qui anime les fouilles du site.
De fil en aiguille, nous en arrivâmes à évoquer des cibles archéologiques qu'il avait dans ma région, dont la Punta di u Castellucciu qui est l'objet de cet article, et j'en arrivais à lui proposer d'aller les explorer sur la base des informations qu'il me fournirait pour les situer. C'est comme cela que nous avons démarré nos aventures communes qui nous firent nous retrouver sur le terrain d'août à octobre 2011 entre Sari et Sotta pour une série d'explorations fondées sur des informations historiques glanées sur le Plan Terrier et le cadastre napoléonien.
La première de ces explorations se situa dans l'arrière-région de Sari, sur une crête bordant le massif de Bavella, et concerna un "castellucciu" située sur une pointe opportunément dénommée "Punta di u Castellucciu" qui, d'ailleurs, était notée comme "tour ruinée" sur la carte IGN...
Voici donc la première de cette série de cinq expéditions de prospection archéologique insulaire...
Préliminaires pour Punta di u Castellaciu :
Dominique m'avait informé que ses recherches en Corse Sud l'avaient amené à s'intéresser à un "castellucciu" dans la vallée de la Sulinzara, proche de ma région de Sainte-Lucie. Croyant qu'il faisait allusion au Castellucciu d'Urnucciu à Bavedda, je lui avais indiqué que je connaissais déjà (avec l'article consacré à ce sujet), pensant qu'il s'agissait du château de Rocca Tagliata, mais c'était un tout autre castellucciu, situé 4500m plus à l'Est, auquel il faisait allusion. Les seules indications concernant l'existence de ce "castellacciu" (castellucciu, castellaccio) sont celles des anciennes cartes de la Corse : le Plan Terrier, relevé de 1770 à 1790, et le Cadastre Napoléonien, issu du décret de 1807 mais relevé de 1850 à 1880 (en consultant les extraits détaillés du Plan et du Cadastre consacrés à la vallée du Mulinelle au SW de Sari, vous trouverez le Castellacciu indiqué sur chacun d'eux : cliquer sur en haut et à droite de la fenêtre pour afficher en taille réelle).
La position de ce castellucciu correspond à la "tour ruinée" indiquée sur la carte IGN près du sommet de la Punta di u Castellacciu, en RG du ruisseau du Mulinelle au SW de Sari, et elle devint ainsi la cible de cette première prospection.
Exploration des accès le 27/05/2011 :
C'est donc muni de la position de cette tour sur la carte IGN que me voila seul, en ce Vendredi 27 mai 2011, à essayer de découvrir l'accès le plus simple et le plus efficace à la Punta di u Castellacciu !
L'examen de la carte amenait d'abord à essayer l'accès Nord via la piste de Tramuta qui part de la D268 montant de Sulinzara au col de Bavella peu avant le pont de Calzatoju. Je me présente à l'entrée de la piste en voiture vers 09h30 et arrive à grimper la raide pente initiale qui amène bientôt à un replat où la piste est coupée par une barrière à l'entrée d'une exploitation agricole. Personne en vue pour en négocier l'accès... J'essaie donc de contourner l'exploitation par l'Est, évitant de traverser des propriétés privées sans avoir pu obtenir l'autorisation préalable du propriétaire, mais me retrouve vite coincé dans un maquis d'arbustes à branches rigides empêchant la progression. Je préfère donc faire demi-tour et essayer une autre solution, quitte à revenir ici ultérieurement en espérant trouver le(s) propriétaire(s). Plus tard, Dominique me dira qu'il avait essayé cet accès et avait rencontré le couple d'exploitants propriétaires du domaine : ceux-ci, très sympathiques, l'avaient autorisé à passer et lui avait indiqué le départ du sentier un peu plus loin, mais il n'avait pu aller au bout car parti trop tardivement.
Deuxième tentative en prenant en voiture la piste qui démarre dans l'épingle à cheveux du cimetière de Sari. Cette piste, bien carrossable, mène tout d'abord en 2km au curieux monastère de l'Assunta Gloriosa que je trouve vide de tout habitant à l'exception d'un ouvrier solitaire s'employant en plein cagnard à réparer le chemin d'accès au portail. J'en profite pour visiter brièvement le bâtiment, étonnament bien restauré et entretenu : accueil avec panneau d'informations, pièces de prière, salle de vente de produits corses, chapelle intérieure, ...
Ensuite, il faut quitter la piste principale pour prendre à droite une branche secondaire descendant abruptement vers le ruisseau du Mulinelle. Toujours relativement bien carossable, la piste traverse le versant RD du Mulinelle, le longe en hauteur en vue de Punta di u Castellucciu que l'on aperçoit sur l'autre rive et rejoint le ruisseau au terminus de la piste. Il est midi et n'ayant aperçu aucun départ de sentier durant le parcours, j'ai l'idée d'essayer de remonter le parcours indiqué sur la carte IGN qui démarre à cet endroit et monte vers la crête en RG du ruisseau où je pourrais éventuellement trouver une sente le prolongeant vers la pointe. Il s'avère que ce "sentier" est en fait une large tranchée creusée au bulldozer dans la ligne de plus grande pente et qui sert de sentier de captage, captage que je trouve bientôt vers 12h25 à 550m d'altitude. Aucune prolongation au-delà ! Je redescends donc et, au passage, entreprend l'exploration de l'autre sentier de captage qui part vers le Sud en direction de Bocca d'Alzeta. Même résultat, un superbe captage avec clôture métallique toute neuve à 13h20 et 590m d'altitude, sans moyen de poursuivre au-delà. Je note tout de même que ce captage et la tranchée qui y conduit sont proches du sentier Sari-Capeddu qui passe par Bocca d'Alzetta Longa. Cela me servira ultérieurement pour improviser une boucle dans ce secteur combinant les deux accès... avec tout de même une joyeuse mais courte partie de maquis entre les deux !
Après avoir déjeuné au captage Sud et être redescendu sans avoir trouvé la moindre possibilité d'accéder à la crête de la Punta di u Castellucciu, la journée s'avère être une Bérézina complète et la seule voie d'accès semble bien être celle de la piste Nord de Tramuta. Tout de même, en parcourant en voiture en sens inverse la piste du Mulinelle, je prend mon temps pour vérifier qu'aucune trace n'existe allant dans la direction désirée. J'ai bientôt la chance de tomber par hasard sur une vague sente partant de la piste à l'endroit où elle est la plus proche du ruisseau et traversant le ruisseau jusqu'à une sorte de cabane en planches et tôles servant manifestement à des chasseurs ou pêcheurs locaux. De là, deux vagues traces semblent démarrer vers la crête promise ! Il est néanmoins trop tard pour moi pour les essayer et je remets à plus tard leur exploration.
Montée au Castellu de Punta di u Castellacciu le 03/06/2011 :
Retour par un temps fort orageux sur la piste du Mulinelle une semaine plus tard, le 3 juin à 11h45, puis accès à la sente et à la cahute trouvées la semaine dernière...
Parce que c'est celle qui semble aller dans la direction la plus proche de la pointe, je prends la sente de droite après la cahute. Très vite, elle devient évanescente et, après quelques fausses pistes et explorations erratiques, je retrouve un peu plus haut une meilleure trace qui s'avérera à la descente être la sente de gauche ! Premier mauvais choix...
La sente traverse des murets de soutènement et des enclos montrant que ce coin était anciennement utilisé. Elle s'avère très praticable, elle a été visiblement récemment démaquisée, jusqu'à un cairn entre deux embranchements. Encore une fois je prends celle de droite, toujours pour la même raison, mais cette fois-ci la trace reste bonne pendant un bon moment et remonte le versant RG du Mulinelle dans la bonne direction. Malédiction, 10mn plus tard, elle semble s'arrêter soudainement et, là encore, plusieurs tentatives d'aller plus loin s'avéreront vaines. Demi-tour et, 100m plus loin sur le sentier emprunté à l'aller, exploration d'une minuscule sente montant vers une arête rocheuse dans une éclaircie de maquis. Cette trace est aussi vaseuse que les précédentes, mais j'arrive à monter suffisamment haut pour retrouver par hasard la bonne sente démaquisée qui elle aussi correspond à la branche de gauche de ma bifurcation précédente. Deuxième mauvais choix...
La suite est maintenant facile, jusqu'à arriver à voir la pointe, puis à atteindre le col Sud vers 12h55. La face Sud de la pointe est raide et rocheuse avec pas mal de végétation, mais semble grimpable sans trop de difficultés.
Avant de démarrer l'escalade, je préfère continuer à explorer les accès autour de la pointe de manière à vérifier s'il n'existe pas des voies plus faciles. Je continue donc la sente qui longe d'abord la face Sud, puis tourne à 90° à gauche vers l'Ouest. Je continue encore un peu en vérifiant que cette sente est bien celle qui remonte de Tramuta et que je n'avais pu emprunter la semaine dernière. Elle semble bien démaquisée de bout en bout.
Je reviens sur mes pas et, au virage à gauche, au lieu de revenir vers le col Sud, je prends une autre trace démaquisée qui m'emmène plein Nord le long de la face Ouest de la pointe. Paroi superbe, verticale et même surplombante par endroits, qui mériterait d'être équipée de voies d'escalade. En une vingtaine de minutes, j'atteins le col Nord de la Punta di u Castellacciu avec la vue sur les deux versants de la crête et la piste du Mulinelle avec ma voiture. De ce côté-ci et sur la face Est de la pointe, pas de possibilités évidentes d'accès aisé !
Retour donc sous la face Sud à 13h55 et pause-déjeuner...
Après le déjeuner, redémarrage vers 14h15 en abordant la face Sud par la gauche dans une zone très maquisée. Une première longue vire presque horizontale me mène de G à D vers une zone d'arbustes très fournis en bas de deux couloirs s'élevant à droite du sommet. Je prends le couloir de droite qui monte sur une plate-forme donnant en impasse sur la face Est très verticale. Il faut alors escalader l'arête qui sépare les deux couloirs et rejoindre une vire facile dans le prolongement du couloir de gauche. Cette vire herbeuse monte ensuite en oblique au-dessus du début de la face Est pour atteindre le ressaut rocheux final couronné d'un arbre caractéristique. Une quinzaine de mètres de rochers pas trop difficiles me permettent enfin d'accéder vers 14h40 à la vaste plate-forme herbeuse entourant le sommet. Surprise ! Le castellu est bien visible sur la gauche de la plate-forme !
Je prends le temps de visiter le sommet, de faire le tour de la plate-forme herbeuse et du castellu et d'aller examiner les restes d'enceinte qui entourent cette pointe ainsi que les blocs rocheux l'avoisinant. N'ayant aucune compétence archéologique, je me contente de prendre des photos de l'ensemble en espérant qu'elles suffiront pour Dumé !
Ensuite, redescente au col Sud sans problème par la même voie de 15h à 15h20, puis à la piste par la sente de chasseurs de 15h20 à 15h50.
Belle revanche sur l'échec mémorable de la semaine dernière !
Prospection du site le 11/08/2011 :
Après avoir consulté les photos que je lui avais envoyées, Dumé m'écrivit pour m'informer du fait qu'il pensait qu'il s'agissait d'une tour médiévale mais qu'il avait besoin de trouver du matériel sur place pour confirmer. Aussi avions nous convenu de nous retrouver au plus tôt pour tenter une autre visite de ce castellu dés que Dumé serait en vacances à Sorbollano, c'est-à-dire début août.
Nous nous retrouvons donc à trois, Nicole nous accompagnant, pour démarrer de Sainte-Lucie le 11 août 2011 dans le 4x4 de Dominique. Après le trajet jusqu'à la piste du monastère, nous retrouvons le départ de la sente aux environs de 9h30. Avec la connaissance du sentier, c'est à peine une heure plus tard que nous atteignons le sommet de la Punta di u Castellucciu.
Là, Dumé, accompagné de Nicole, se met à examiner systématiquement les ruines de la tour et toute la surface autour du sommet. J'en profite pendant ce temps pour aller visiter de plus près les abris sous roches situés légèrement en contrebas des restes d'enceinte et une autre voie d'accès à la pointe depuis le col Sud mais sans rien trouver d'autre montrant une occupation humaine. De leur côté, Nicole et Dumé ont ramassé de nombreuses tuiles ainsi qu'un caillou percé, ont noté les traces d'une enceinte qui faisait le tour complet de la zone plane autour des rochers du sommet et découvert des rochers pouvant avoir servi de citerne à l'époque de l'occupation du site.
Après presque 2h au sommet et une brève pause-déjeuner, nous entreprenons la descente vers 12h10 et atteignons sans encombre le col Sud 20mn plus tard. Dans la foulée, la descente par la sente de chasseurs s'avère aussi facile et rapide et c'est vers 13h05 que nous sommes de retour à la voiture sur la piste du Mulinelle, avec encore 1h de voiture pour le retour à Sainte-Lucie.
Magnifique journée dans un cadre superbe et par une météo bien meilleure que celle que j'avais eue en juin dernier, et confirmation que ce castellu était bien digne d'intérêt.
Compléments :
Dominique a consulté ensuite les archéologues de sa connaissance avec les quelques retours suivants :
- Aucun d'entre eux n'avait connaissance de ce castellucciu de Sari
- L'époque de construction et d'habitation du castellu semble bien être l'époque médiévale dans une région qui n'appartenait pas au fief de la Rocca comme celui de Rocca Tagliata à Bavella (lire à ce sujet l'article de Dumé sur Rinucciu)
- Les tuiles sont d'origine romaine et ont sans doute été réutilisées à l'époque médiévale
- Le caillou percé est sans doute une fusaiole (partie d'outil à tisser) qui semble avoir été fabriquée dans un tesson de récupération
Bon, ce n'est pas Cuciurpula, mais quand même...
Voir aussi de part et d'autre de ce paragraphe, à gauche la carte générale de la région du ruisseau du Mulinelle avec tous les parcours, y compris les deux sentiers de captage vers Bocca d'Alzeta, et à droite la carte détaillée de la Punta di u Castellacciu et de ses accès.
Enfin, ci-dessous, le diaporama avec les photos des différentes explorations et de la journée de prospection :
Commentaires
@YachtingClean :
Merci ! :-)
Très beau site. Bravo :-)
Visiblement, cet article sur le Castellucciu de Punta di u Castellacciu a donné des idées à Dumé qui a posté un article sur un ensemble de castelli qu'il a visités récemment, dont les quelques-uns qui font l'objet de ces aventures archéologiques...
A voir sur le site de Cuciurpula ! :-)