Raid des vires du Falasorma : Episode 2 - Des Bergeries de Scaffone à Campu di Vetta
Par PhE le mercredi 08 août 2012, 23:46 - Ravinisme - Lien permanent
Deuxième épisode de notre saga sur les trois grandes vires du Falasorma fin juin 2012 !
Cette fois-ci, il nous fallait franchir les deux dernières vires pour relier les Bergeries de Scaffone, où nous avions bivouaqué après notre épuisante montée par Valle Serrata, à Campu di Vetta, lieu de bergeries ancestrales nichées sur la vire bordant le pied de la formidable face W du Capu Tafonatu : l'Andade a u Ponte qui relie le versant supérieur de la face N du Scaffone au versant S de Campu Razzinu et la vire W du Tafonatu en bas des 600m de paroi sous le trou. C'est une partie que nous connaissions bien pour l'avoir déjà parcouru ensemble, Eckard et moi : j'en étais pour ma part à mon cinquième passage sur ces deux vires... La seule partie que nous ne connaissions pas encore était justement celle du départ des bergeries par lesquelles le cheminement habituel depuis (ou vers) les bergeries de Laoscella ne passe pas. Il s'agissait donc de rejoindre ce cheminement en remontant environ 200m de dénivelé jusqu'à le récupérer. Nous espérions donc ne pas connaître trop de problèmes sur cet itinéraire magnifique, en tout cas bien moins que la veille lors de nos errements menant à l'Andadonna...
Rappel du parcours global du raid tel que nous l'avons finalement réalisé que l'on peut visualiser en cliquant sur la carte ci-contre à gauche. Dans la suite de l'article, vous retrouverez à chaque chapitre la carte du parcours de l'étape sur la gauche de la page.
Jeudi 28 juin 2012
Des bergeries de Scaffone au départ de l'Andade a u Ponte :
Comme nous avions besoin de récupérer de notre journée de la veille et que la journée ne devait pas s'annoncer trop longue, nous n'avions pas particulièrement forcé sur le lever au bivouac. Ce n'est donc que vers 08h30 que nous avons réussi à nous mettre en route...
Nous avons commencé par essayer la route la plus directe en contournant les aulnaies juste au-dessus des bergeries par la droite, le long des parois d'une petite falaise rocheuse. Cela s'avéra trop compliqué car il aurait fallu grimper dans la falaise pour se sortir des aulnes qui ne laissaient pas de passage en bas de la paroi. Retour aux bergeries à 09h00 ! Il s'avéra ensuite plus tard que ces rochers auraient pu sortir sans trop de difficultés, mais ce n'est facile à dire qu'après...
Le contournement par la gauche, plus long, s'avéra plus facile et nous montâmes rapidement à mi-hauteur de la zone de végétation, avant de décider de la traverser vers la droite (W) en ligne de niveau en nous servant d'une trace trouant opportunément l'aulnaie. Il restait une centaine de mètres à grimper directement au-dessus ensuite pour gagner le col qui marque le franchissement de l'arête intermédiaire de ce versant Scaffone, arête qui nous avait induits en erreur en 2009 lorsqu'Eckard la confondit avec celle du départ de la vire. Nous y étions à 10h10 et avions donc rejoint l'itinéraire "standard". De ce col, on voyait bien le col suivant qui marque simplement un dédoublement de cette arête empêchant de voir la suite du versant de Scaffone et le départ de la vire. Il nous fallut peu de temps pour rejoindre ce col en empruntant la descente - montée qui nous y amena vers 10h40. Et, enfin, nous avions une bonne vue du départ de la vire à moins de 500m à vol d'oiseau !
Je m'attendais à une joyeuse partie d'aulnes pour la rejoindre, comme nous en avions pris l'habitude à chacun de nos passages : en effet, les cairns se perdaient vite dans cette partie du versant et il est difficile d'éviter de traverser des aulnaies. Pourtant, à l'inverse, cette fois-ci nous nous contentâmes de suivre une ligne de cairns assez évidente, en ligne de niveau au départ du col, qui nous maintint en permanence à la lisière de la végétation sans aucune traversée pénible. Il faut dire que les cairns ont fleuri dans le coin depuis 2009 ! Est-ce lié à la promotion faite à ce parcours par "Corse sauvage" ?
A l'évidence, les aventuriers se font plus nombreux dans la région, avec profusion de cairns inutiles comme d'habitude, mais sans le sur-cairnage caractéristique de certaines régions montagneuses insulaires où l'orientation est aussi délicate. Robert Cervoni d'Altre Cime attribue ce sur-cairnage au narcissisme de beaucoup de randonneurs indélicats qui tiennent à marquer leur passage pour la postérité, alors que je pense (naïvement ?) que c'est tout bêtement la trouille de beaucoup de se perdre dans ces parcours hors-pistes qui les amènent à baliser chacun de leurs pas en oubliant d'enlever les répères quand ils se trompent ! Vaste débat, mais la suite des opérations ne va pas tarder à nous montrer que Robert est sans doute le plus proche de la vérité...
Cette trace nous amena donc aisément sous le début de la vire dans le versant Scaffone et nous rejoignîmes son départ en innovant un nouveau passage plus simple à l'extrémité Scaffone de la vire qui permet de contourner les aulnes et évite la montée (ou descente) par un des couloirs que nous prenions habituellement en nous frottant rudement aux branches.
Arrivée sur la vire vers midi, sans avoir randonné au pas de charge, soit environ 3h depuis les bergeries, et avec une météo sans un nuage contrairement à la veille...
La vire de l'Andade a u Ponte :
Cette vire constitue la partie la plus facile du parcours... une fois qu'on l'a trouvée ! Longue de plus de 2000m, elle relie la face N supérieure du Capu Scaffone à la face S de Campu Razzinu, proche du Tafonatu. Sur un parcours quasi-horizontal à 1700m d'altitude environ, elle se décompose en trois parties :
La partie Nord, la plus courte (environ 300m), qui mène à l'immense plate-forme horizontale sur l'arête NW de Punta di Campu Razzinu
La partie Ouest, composée de deux profondes échancrures découpées par deux ravins monstrueux descendant vers le couvent de Santa Maria avec un parcours en zigzag sur plus de 500m
La partie Sud, la plus esthétique et la plus longue (environ 1000m), qui se déroule en face des grandes parois du Capu Rossu et du Capu Tafonatu et se termine par une bordure dallée qui la fait apparaître comme les "Champs-Elysées" de ce massif
Nous fîmes une petite pause à l'entrée de la vire en regardant derrière nous une dernière fois le versant de Scaffone et en vérifiant que le couloir de montée emprunté tout à l'heure était bien le plus pratique. Repartis vers 12h10, nous atteignîmes rapidement la plate-forme rocheuse, juste après être passés sous le bloc rocheux caractéristique qui fait UN PONT au-dessus de la trace et qui a donné son nom corse à la vire, "Andade a u Ponte".
La vire reprend immédiatement après la plate-forme en abordant la première échancrure de la partie W. Et c'est là, me semble-t-il en arrivant un peu avant le col qui marque la jonction avec l'échancrure suivante que nous avons eu la surprise de découvrir un grotesque "tag" d'environ 1m de diamètre avec deux séries d'initiales, JP/AM, et une date à l'intérieur d'un cercle, le tout tracé à la peinture blanche et en gros caractères du plus mauvais goût !
De quoi donner effectivement raison à Robert Cervoni quant aux motivations étranges de certains randonneurs dont la c...rie donne une bonne mesure de ce que peut être la notion de l'infini...
Nous n'avons pas dérangé de mouflons ce matin-là sur cette partie de la vire où il y en a souvent, sans doute parce que nous passions trop tard, puisque nous sommes arrivés au col précédant la 2ème échancrure à 12h30 (c'est encore le matin pour moi qui suis un lève-tard !).
La deuxième échancrure ne nous posa pas plus de problèmes et il n'y eut pas de tag cette fois-ci pour nous signaler des passages antérieurs. Et, à la fin de cette partie, toujours le magnifique spectacle du Tafonatu et de son Trou à l'arrivée au virage vers la partie Sud que nous avons atteinte à 12h45 !
Cette partie commence par une petite descente qui amène à un magnifique pin dont l'ombre est particulièrement propice à une pause ou un déjeuner contemplatif dont nous ne nous sommes pas privés ce jour-là ! Le spectacle est l'un des plus beaux de Corse sur ce balcon exceptionnel qui, à ce niveau, surplombe la forêt de Tana di l'Orsu de près de 400m de parois totalement verticales... La vue en face de vous propose les ravins du Fangu et les arêtes descendant de Punta Silvastriccia et à gauche Capu Tafonatu et Capu Rossu séparés par la faille du ruisseau de Bocca a Rossa. Malheureusement pour nous, ce jour-là, cette vue fut masquée en fin de déjeuner par l'arrivée de nuées inopportunes qui nous accompagnèrent jusqu'à la fin de la vire...
Nous reprîmes notre chemin à 13h25 dans une brume qui rendait le paysage de plus en plus irréel et sans quasiment rien voir d'autre autour de nous que cette vire formidablement dallée qui nous emmenait vers Campu Razzinu et ses "verts pâturages". Nous avons atteint la fin de la vire vers 12h50 juste au moment où les nuages commencèrent à se disperser, avec encore une fois une partie rendue glissante et dangereuse par un ruissellement souvent présent.
De l'Andade a u Ponte à la vire du Tafonatu :
La suite consiste à relier les deux vires par une descente - remontée traversant le ruisseau provenant de Bocca a Rossa qui sépare les deux vires, celle d'Andade a u Ponte et celle du Tafonatu W.
Pour descendre au ruisseau, après avoir contourné par le haut le mamelon rocheux caractéristique à la hauteur de l'amphithéâtre de Campu Razzinu, nous empruntâmes un semblant de vire descendant en diagonale à gauche sous Campu Razzinu et rejoignant le torrent vers le point IGN 1651.
De l'autre côté, il nous fallut péniblement remonter le versant très encombré d'éboulis qui est couronné par le "col franchissable", caractéristique avec son unique arbre, seul point de passage aisé sur la crête nous séparant de la face W du Tafonatu. Nous y sommes arrivés vers 14h30 et j'en ai profité pour faire quelques photos du coin depuis ce site à vue panoramique !
La vire de la face W du Capu Tafonatu :
Nouvelle courte descente pour rejoindre 80m plus bas le début de la vire de la face W du Tafonatu que nous avons abordé à 14h50.
Cette vire est une des autres merveilles de la région ! Formant une sorte de V autour de la cuvette et de la grotte en bas du couloir central descendant du trou en plein centre de la face W, elle parcoure, à une altitude d'environ 1600m (et non 1700m comme l'avait écrit par erreur Michel Fabrikant dans ses topos), tout le pied de la formidable paroi qui la surplombe de 600m sur une distance de 1000m depuis le "col franchissable" jusqu'à Campu di Vetta.
Une descente à faible dénivelé sur la vire parfois étroite aboutit au couloir central qui, comme chaque année à cette époque, est complètement encombré à son pied d'un énorme névé bouchant partiellement l'entrée de la grotte et lui donnant une température digne d'un réfrigérateur. Il paraît qu'un guide corse l'utilise souvent à cette saison pour former ses élèves aux techniques du piolet et des crampons ! De notre côté, en y arrivant à 15h10, nous en profitons, avec l'aide des brumes passagères qui atteignent parfois la vire, pour réussir une étrange photo de Bruno pénétrant tel un extra-terrestre dans la grotte...
De l'autre côté de la grotte, le sentier de la vire commence par remonter doucement en passant devant quelques opportunités de bivouacs monoplaces, puis s'éloigne un peu de la paroi pour atteindre un grand lariciu marquant un virage à gauche où l'on peut découvrir le reste de la vire jusqu'à son extrémité, Campu di Vetta, terme de notre étape de ce jour. Avant d'y arriver, nous en avons profité pour examiner de plus près les vestiges des bivouacs et enclos utilisés jadis par les bergers dont on se demande quelle folie les poussait à emmener du bétail dans ce bout du monde. Fin du parcours à 15h35, sur le balcon de Campu di Vetta qui domine les ravins abritant les torrents qui alimentent le Fangu...
Campu di Vetta :
C'est un des lieux les plus magiques de Corse que ce balcon situé à l'extrémité d'une des plus belles vires de la montagne insulaire, dans un des endroits les plus sauvages, reculés et inaccessibles de toute l'île ! Il procure un bivouac abrité sous les rebords initiaux des 600m de parois qui le surplombent et un mirador perché au-dessus des effrayants couloirs qui se rejoignent au-dessous pour constituer l'un des plus beaux fleuves de Corse, le Fangu...
Je ne suis pas le seul à être envouté par ces lieux puisque bien d'autres le sont aussi : Eckard qui a toujours du mal à imaginer ne pas y retourner chaque année, Charles Pujos qui y a séjourné nombre de fois, Robert Cervoni d'Altre Cime qui arrive à y emmener des clients, les anciens bergers du Niolu et du Falasorma qui y trouvaient refuge pour surveiller et traiter leurs troupeaux... Ce lieu peut d'ailleurs vous rendre lyrique comme l'a été Charles dans son livre "La traversée de la Corse" où il écrivait : "Dominé par des piliers géants - le plus haut gratte-ciel de la Méditerranée! - , surplombant un impénétrable ravin qui interdit toute envie de fuite vers l'aval, je sais à cet instant que j'occupe le plus sauvage et le plus extraordinaire bivouac naturel de toute la Corse..."
Pour moi-même, c'est mon cinquième bivouac sur cette vire et je suis bien content d'avoir trouvé cette occasion d'accompagner Eckard et Bruno pour y revenir... Bien entendu, nous avons passé une bonne partie de la fin de journée, outre les préparatifs de bivouac, à contempler les multiples aspects du paysage local et à prendre des photos même si ce sont des photos déjà prises antérieurement. Et la corvée d'eau nécessaire pour le dîner et la nuit nous donna l'occasion d'aller visiter le ruisseau proche, 40m plus bas, doté lui aussi de son névé personnel mais du type "spéléo" et donc visitable de l'intérieur car creusé par l'eau...
Puis ce fût le souper, avec une discussion sur les options de la descente du lendemain qui s'annonçait délicate, et les traditionnelles photos du coucher de soleil du coucher de soleil sur le Fangu, peut-être un peu moins beau que d'habitude, mais c'est vrai que j'ai toujours eu la chance d'avoir du beau temps à ce bivouac ! Extinction des feux vers 21h30.
Conclusions :
Contrairement à la veille, une journée sans aucun problème, mis à part le petit raté du contournement des aulnes en début de journée, et un horaire que l'on peut qualifier de normal, moins de 6 heures en décomptant l'erreur des aulnes et le déjeuner. De plus, vraiment une journée de rêve : un environnement spectaculaire, du beau temps accompagné de quelques nébulosités qui ont pimenté les paysages, les névés à leur apogée de la saison autour du Tafonatu. Ce parcours, simple adaptation du parcours habituel depuis les bergeries de Laoscella, est un must de la randonnée sportive et il faut l'apprécier à sa juste valeur.
Que peut-on rajouter, à l'exception des avertissements écologiques concernant ces lieux merveilleux qu'il faut préserver du sur-cairnage et des imbéciles ? Les "randonneurs" qui parcourent ces lieux devraient éviter la prolifération des cairns le long du parcours car elle commence à devenir gênante avec l'apparition de fausses pistes : cela implique de les enlever quand on les a érigés sur une fausse trace, d'éviter d'en rajouter là où il en existe déjà, etc... et même de faire comme Altre Cime qui organise des sessions de destruction des cairns inutiles !! Et enfin inutile d'imaginer que ces vires sont susceptibles de devenir une galerie d'art contemporain en y laissant "tags" ou "oeuvres d'art" modernes : elles deviendraient sinon rapidement un des musées de la stupidité humaine ! Pour plus d'informations sur ce sujet, il est utile de lire les discussions initialisées sur le Blog par Robert Cervoni récemment...
A bientôt, pour le troisième et dernier épisode de nos aventures : Campu di Vetta - Monte Estremu par Tana di l'Orsu...
Et pour terminer cet article, le diaporama avec les photos relatives à l'ensemble du raid que vous pouvez découvrir sans même attendre la suite du récit :
Commentaires
Bonjour @raoul mathieu :
Vous n'avez sans doute pas remarqué ;-) , mais vous avez posé la même question sur mon site "Corse sauvage" et je vous ai déjà fait une réponse :
Recherche information sur une traversée entre Taverra ,Vignale Bocca Sambuche et Azzana ou Cruzzini?