2ème partie : La montagne perdue

Départ de la crête de Compolelli : col de MorelloL'idée de traverser la Cagne pour rejoindre notre domicile de Sainte-Lucie de Porto-Vecchio n'était pas venue de nous mais de Charles Pujos qui, en plusieurs occasions, a décrit les étapes de ce trek, en particulier dans son livre "Corse : les plus beaux treks", paru en 2007, qui précise la plupart des étapes que nous avons reprises, à l'exception de la dernière, une nouveauté de mon cru.
Rien n'est comparable à ce massif en Corse, avec sa fréquentation voisine de zéro, son ambiance à la fois bucolique (quand il n'y a pas de brouillard !) et mystérieuse, sa végétation de sapins excluant les laricii vers la crête sommitale, son hydrologie incompréhensible (D'où vient toute cette eau ? Pourquoi cette irrégularité, à la fois dans le temps et dans l'espace ?) et son absence, à quelques exceptions près, de vrais sentiers, remplacés par des traces cairnées demandant flair et obstination. Emoticones
C'est donc par ce massif, avec les avantages de la description de Charles et de ma connaissance des lieux, que nous avons choisi de continuer le trek en faisant la traversée méridionale de la Corse à partir du petit hameau de San Gavinu, au-dessus de l'aéroport de Figari.

• San Gavinu di Cagna-Apaseu (4ème jour) :

Bergeries de Naseu : stèle à Saint-LaurentLe départ depuis San Gavinu a lieu vers 7 h 30 et la seule traversée du village pour retrouver le départ du vieux sentier de montée aux bergeries de Naseu nous vaut d'être rejoints puis accompagnés par deux chiens locaux qui ne vont plus nous lâcher jusqu'en haut malgré nos tentatives pour les faire fuir... C'est donc en caravane que nous parcourons le sentier de montée : pas de problèmes, c'est une autoroute (pour la Cagne !) dotée d'une pente régulière et relativement ombragée.
L'arrivée aux bergeries se fait vers 9 h 30, après une petite halte rafraîchissante à la fontaine sous le hameau, et les chiens nous accompagnent encore pour la visite des bergeries que nous voulons effectuer avant la suite du trajet. Pas de chance pour eux, nous tombons sur un indigène vociférant, en train de construire sa nouvelle résidence dans le hameau, qui devient vert de rage en apercevant les deux canins, nous reproche de ne pas les avoir empêchés de monter et entreprend de les faire fuir à force de cris et de jets de pierres. Emoticones Il a d'ailleurs beaucoup plus de résultats que nous puisqu'en quelques minutes les deux clébards ont disparu, la queue entre les jambes... On ne les reverra plus de la journée !

Sur le sentier de Naseu : la montée avec les deux chiens Sur le sentier de Naseu : à la source de Naseu

Bergeries de Naseu : au centre du hameau

Sur le sentier de Naseu : les deux chiens de San Gavinu à la source de Naseu Bergeries de Naseu : début du hameau

Ensuite, l'itinéraire consiste à emprunter le sentier traditionnel allant des bergeries à Bocca di Monaco et l'Uomu di Cagna, en quittant ce bon sentier au petit col Montée à la plaine d'Uovacce : l'abri de Barba Porcaoù se niche l'abri ruiné de Barba Porca que l'on atteint après environ 1 h de marche depuis Naseu. Après, il faut suivre la trace cairnée qui s'améliore d'année en année (Merci, Corse sauvage !) et mène en 1 h à la partie SW de la plaine d'Uovacce où nous arrivons vers midi. Les temps forts de cette montée : une partie initiale ombragée le long d'un ruisseau bien approvisionné, la trace intermédiaire hors forêt en oblique dans une pente caillouteuse et un maquis ras, la traversée d'une "étrange coulée de blocs" (Charles Pujos), la remontée à la source annoncée par une pataugeoire sous un taillis de ronces et la lisière spectaculaire de la plaine constituée d'une forêt primaire de formidables sapins centenaires abritant, sous une inquiétante obscurité, mousses, lichens, troncs morts, blocs effondrés... Emoticones
L'arrivée à la plaine elle-même est une délivrance des éventuelles angoisses de la montée (quand on ne la connaît pas...), avec son horizontalité parfaite, sa douce végétation de bruyères (en fleurs vers fin juillet) et d'herbes diverses et sa vue dégagée sur les arbres moussus, les chaos de blocs et les pics rocheux qui la cernent.

Et pourtant, cette année et contrairement à toutes mes précédentes montées, la plaine est privée de l'eau et des ruisselets qui la parcourent habituellement en la transformant en un plateau humide, spongieux, regorgeant d'herbes et de trous d'eau. Du coup, après une visite de la plaine et un déjeuner à la grotte-bergerie en lisière Nord, je retourne à la source faire le plein d'eau, n'étant plus sûr du tout d'en trouver à Apaseu !

Entre Barba Porca et plaine d'Uovacce :  Uomu di Cagna et Punta di Monaco Entre Barba Porca et plaine d'Uovacce :  la partie caillouteuse hors forêt

Montée à la plaine d'Uovacce : l'"étrange coulée de blocs"

Arrivée à la plaine d'Uovacce Plaine d'Uovacce : la grotte-bergerie

Nous repartons vers Apaseu à 16 h le long d'une trace cairnée beaucoup plus éthérée et discontinue que celle de la montée à la plaine, dans un paysage alternant chaos de blocs, clairières herbeuses, murets clairsemés, buissons infranchissables, ... Le flair devient nécessaire, particulièrement dans une série de sauts de blocs où les cairns se cachent sous les branches de sapins&;nbsp;: c'est la Cagne-aventure dans toute sa splendeur où qualités d'orientation et boussole sont d'un grand secours. Des restes métalliques rappellent l'époque du téléférique construit pour l'exploitation du charbon de bois dans le massif : pour le moins étonnant... Il faut se convaincre que la trace est cairnée, plus ou moins bien, jusqu'au bout et qu'il est préférable de la suivre pour éviter intelligemment la coulée de blocs qui nous ramène à Apaseu et où il est aisé de perdre beaucoup de temps et d'énergie. Quand on évite tous les pièges, moins de 40 minutes sont nécessaires pour rejoindre les bergeries et le superbe site gazonné d'Apaseu.

Plaine d'Uovacce : partie SW vue du départ de la trace d'Apaseu Entre Uovacce et Apaseu : ligne de cairns typique de cette traversée

Le chaos rocheux d'Apaseu

Arrivée à Apaseu : les gazons d'Apaseu Apaseu : les bergeries

Apaseu : coucher de soleil vers le ValincuLe reste de la journée se déroule rapidement, passé en préparatifs de bivouac, confortable dîner aux UV sous un soleil occidental dans l'axe d'un couloir dégagé des arbres de la forêt, photos du coucher de soleil sur le Valincu, ..., sommeil du randonneur satisfait ! Emoticones

• Apaseu-Cartalavonu (5ème jour) :

Crête de Compolelli : sur la crête, vue vers le N et la partie à parcourirPour une fois, nous démarrons assez tôt, 7 h 30, d'Apaseu pour entamer cette traversée de la Cagne. Elle commence par la liaison Apaseu - Bocca di Funtanella, en versant N du massif, sur une trace cairnée aussi difficile à déchiffrer que celle de la veille, avec parfois trois étages de lignes de cairns. Elle amène en une heure environ à la source de Funtanella, découverte à l'issue d'une petite descente finale à la tête d'un petit val gazonné, puis à l'abri retapé tout proche. Le col de Funtanella est à moins de 15 minutes et est le carrefour des deux sentiers menant à Vignalella au Nord (récemment démaquisé) et à Vacca au Sud (non démaquisé en 2009).

Départ d'Apaseu vers Bocca di Funtanella : plateau et chaos d'Apaseu Apaseu - Funtanella :  vers le col 1240 m

Apaseu - Funtanella : lignes de cairns en sous-bois

Apaseu - Funtanella : source de Funtanella Apaseu - Funtanella : abri-bergerie de Funtanella

A partir de Bocca di Funtanella, le parcours devient plus austère, moins bucolique (moins de végétation, rochers) et plus alpin : il faut remonter une crête jusqu'au col de Morello, à 20 minutes de Funtanella, où passe le sentier menant aux bergeries de Bitalza. Nous y sommes vers 10 h : notre route est de continuer à monter vers Punta di Compolelli pour démarrer la traversée vers le col de Bacinu par la crête de Compolelli et, avant d'y aller, nous prenons le temps d'une pause-barre énergétique en contemplant les signes annonciateurs de l'arrivée des orages. La crainte d'essuyer l'orage sur la crête nous incite à ne pas traîner et nous sommes à la hauteur de Punta di Compolelli vers 10 h 30. Emoticones
La première partie de la crête est assez bien cairnée et facile à suivre : c'est vers la jonction avec le sentier du versant Sud que les contournements de quelques pointes rocheuses donnent lieu à des variantes plus floues. La jonction se fait près de l'arête marquée par un immense muret de pierres qu'il faut traverser pour aller sur le versant Nord. C'est ensuite une succession de passages d'un versant à l'autre, marqués par autant de traversées de murets de bergers, avant une dernière traversée horizontale en versant Sud, compliquée et bien maquisée, qui nous amène vers midi à la brèche du couloir à la droite (Est) de Punta Chantata.

Col de Morello : départ de la crête de Compolelli Sur la crête de Compolelli, peu après Punta di Compolelli

Sur la crête de Compolelli après Punta di Compolelli et vue vers Bitalza et Capellucciu/Capellu Crête de Compolelli : dernier muret avant passage en versant E et brèche du couloir de Punta Chantata

Crête de Compolelli : dans le couloir de Punta ChantataL'orage menace de plus en plus et tonnerre et éclairs se font entendre et voir au Nord sur Bavella et l'Alcudina. Nous décidons donc de ne pas nous arrêter et descendons sans trop de difficultés à Bocca Ferula par le (très) raide couloir, encombré de blocs et d'herbes glissantes, avec heureusement quelques arbrisseaux en son milieu permettant l'usage de prises bienvenues. Il est suivi d'un ressaut incliné de dalles granitiques lisses qui donnent accès au col de Ferula où nous arrivons à 12 h 30.
Là, l'orage se déclenche enfin sur nous et nous oblige à déjeuner sous la pluie, abrités par un vague surplomb rocheux dans les ruines de bergeries du col : nous n'en avons heureusement que la traîne, alors qu'il s'était déchaîné plus au Nord !

Crête de Compolelli : dans le couloir de Punta Chantata Col de Ferula (805 m) : les restes de bergerie

Crête de Compolelli : Punta Chantata et le couloir à sa gauche

Dans la montée au-dessus du col de Bacinu vers Cartalavonu : vue vers Bitalza et la crête de CompolelliLa traversée de la Cagne se termine au col de Bacinu sur la D59, après une courte descente du col de Ferula et 500 m sur le bitume. Nous y arrivons en 30 minutes, vers 14 h, toujours sous la menace des orages qui nous tournent autour...
La fin de l'étape consiste à rallier le gîte de Cartalavonu par le bon sentier démarrant au col de Bacinu, escaladant la crête de Monaca, puis suivant à flanc son versant oriental : sentier récemment remis en état avec six mois de travail par le gérant du gîte avec l'aide d'un berger local... En chemin, pris par un début d'averse, nous nous arrêtons plus d'une heure dans la montée, avant de repartir sans plus de soucis pour rejoindre le gîte vers 17 h après environ 1 h 30 de marche effective.

3ème partie : Le sentier épineux

Dans la descente du sentier de l'Osu : arrivée à l'OsuLe trek décrit par Charles rejoint Porto-Vecchio depuis Cartalavonu par le Mare a Mare. Pour nous, il s'agissait de rejoindre Sainte-Lucie et, donc, pas question d'adopter la routine de ce sentier fréquenté. La solution la plus directe que j'avais imaginée consistait à rejoindre le sentier de l'Osu pour descendre cette vallée en prenant au départ le sentier des touristes de la célébrissime Piscia di Ghjallu que tous ceux qui viennent à Ospedale se doivent d'avoir vue !! Je ne m'y serais sans doute pas lancé en descente sans la reconnaissance préalable que j'avais effectuée auparavant début juin et qui m'avait montré que le sentier était légèrement "encombré" mais franchissable pour des randonneurs aguerris et j'eus la faiblesse de croire que François me suivrait sans se poser de questions  ce qu'il a fait pour son plus grand malheur ! Emoticones

• Cartalavonu - Sainte-Lucie de Porto-Vecchio (6ème jour) :

Piscia di Ghjallu : partie supérieureNous démarrons la journée après une excellente nuit au gîte, qui nous permet de partir assez tôt (pour nous !) avant 8 h. Le tronçon de Cartalavonu au départ du sentier est avalé en 1 h et la partie touristique pour aller à la cascade en 40 minutes en y arrivant vers 9 h 50. Visite et photos de la cascade nous prennent plus d'une heure : c'est vrai que c'est la chute d'eau la plus spectaculaire de Corse, avec un débit constant en toutes saisons, et que c'était la première année que je la voyais... ayant toujours refusé de me joindre à la foule des adeptes estivaux.

Lac d'U Spidali Piscia di Ghjallu : partie supérieure

Nous prenons vers 11 h 15 la suite du sentier de l'Osu, dont le départ, réservé aux initiés, est trouvé sans problèmes. Le départ..., mais pas la suite du sentier qui devient tellement inextricable que je crois avoir fait une erreur, ne reconnaissant rien de ce que j'avais parcouru 3 semaines plus tôt, et ne me souvenant plus d'une telle jungle. Au bout d'une demi-heure, cependant, je commence à reconnaître certains passages m'assurant que ce sentier est bien le bon. J'admire le stoïcisme de François qui endure les multiples épreuves de cette trace sans s'énerver et sans rien me reprocher, alors que se succèdent les troncs en travers, les lianes et branchages sur la sente, les effondrements, les blocs, les tronçons de ronces à traverser pour contourner les zones infranchissables du sentier initial, les pièges des suites à trouver après certaines traversées de torrents, etc... Pas une seule partie de ce sentier n'est démaquisée entre l'entrée au-dessus de la cascade et l'arrivée à la piste de l'Osu : soit plus de 3 h de descente dans des conditions épineuses et crispantes et un combat permanent contre la végétation ! Emoticones
Arrivée à la piste et prise d'eau de l'Osu vers 14 h 30 (pause-déjeuner incluse) et somptueuse vasque olympique sous le barrage pour nous nettoyer des restes du maquis... Encore une partie de marche sur la piste et nous terminons en profitant des avantages du GSM et de la voiture de Nicole qui nous évite la route entre Lecci et Sainte-Lucie.
Fin de ce voyage de 6 jours et retour à la civilisation... Emoticones

Dans la descente du sentier de l'Osu : aiguilles rocheuses en RD du ruisseau de Piscia di Ghjallu Dans la descente du sentier de l'Osu : tafoni au-dessus de l'Osu

Dans la descente du sentier de l'Osu : vasque de la prise d'eau de l'Osu

• En conclusion :

Très inspirée du trek indiqué par Charles Pujos, cette partie montagne de notre parcours s'en différencie en deux points :

  • Nous avons préféré faire étape et bivouaquer à Apaseu plutôt qu'au col de Monaco, préconisé par Charles : le site est bien plus magnifique et la montée y est directe en évitant le détour par Bocca di Monaco et la trace aléatoire vers Uovacce sous Punta di Monaco et Punta d'Uovacce
  • Comme indiqué précédemment, nous avons remplacé la dernière étape Cartalavonu - Port-Vecchio par une descente directe sur Sainte-Lucie, non recommandable aux randonneurs moyens et à ne faire qu'avec informations préalables sur l'état du sentier

La partie montagne de ce trek reste très aventureuse et ne doit être entreprise que par des randonneurs habitués à ce type de difficultés et particulièrement avertis des problèmes d'orientation et de recherche d'itinéraire. Les deux étapes en Cagne sont à éviter par temps de brouillard, même avec un GPS dont l'utilité dans ces lieux est encore à démontrer ! Attention aussi à l'orage sur la crête de Compolelli... Quant au sentier de l'Osu, il peut être considéré comme impraticable dans les conditions où nous l'avons trouvé cette année !
Les horaires indiqués sont les nôtres avec de lourds sacs de trek chargés pour 6 jours, avec chacun une tente, et les temps de marche effectifs ont été indiqués au mieux. Pas de cartes du parcours dans cet article, mais vous en trouverez sans problèmes sur d'autres articles du Blog et sur le site concernant certaines de ces étapes, ainsi que sur l'espace Corse sauvage flickr, dans les albums des photos de ces randonnées ou dans l'album spécifique Cartes diverses de Corse.