Raid Ascu - Popolasca mai 2014 (David ABADIE)
Par PhE le mardi 08 juillet 2014, 10:52 - Ravinisme - Lien permanent
Un article d'une veine bien différente de celle habituelle de ce blog, puisque c'est le récit relaté par David Abadie de son raid en boucle de fin mai dernier à partir d'Ascu en traversée dans le massif de Popolasca et la crête de Serra Piana. Pour ceux qui ne connaissent pas David, il suffit d'aller visiter son site Internet, Take a walk on the wild iceland (et ailleurs), pour savourer le style inimitable de ce passionné d'aventures nature en solo, amoureux de l'Islande, mais aussi, plus curieusement, de la Corse, à laquelle il rend visite plusieurs fois par an (la dernière fois pour passer Noël 2013 dans la tempête au refuge de Paliri !)...
Malgré ses déboires de l'an dernier dans le massif de Bavella sur un projet d'itinéraire sans doute trop ambitieux ou optimiste (Cf. 01/05: la bonne journée de m... Polischellu - Ferriate et les pages qui suivent du 01 au 05/05/2013), Bigfoot avait décidé de récidiver cette année en concoctant de nouveau un itinéraire "abracadabrantesque" de son cru dans un autre massif, celui de Popolasca ! En dépit de conseils multiples du genre "Non, la ligne droite entre deux points n'est pas obligatoirement un parcours praticable en Corse...", il m'avait envoyé un projet de raid en 4/5 jours, improvisé à la lecture sur le blog de l'article d'Olivier, Grande boucle sauvage du massif de Popolasca par Vetta di Muru et à l'examen alcoolisé des recoins d'une carte IGN datant des années 40 ! Le moins qu'on puisse dire est qu'il semblait "sauvage" et doté d'une ambition et d'un optimisme à toute épreuve : comme il le disait dans un de ses mails, Ca passe pas, y'a des passages rédhibitoires, c'est sûr !. Ne pouvant trop lui donner des retours sensés sur ce massif que je connais peu, j'avais transféré ce projet à Olivier (Hespel) qui m'avait retourné son opinion de la manière suivante : J'ai compris son raisonnement à Big foot. Il pense que s'il y a de la forêt, même la plus ténue qui soit, des barres rocheuses avec des ravins pour les contourner (car ils sont là pour ça) et qu'il y a du vert clair sur la carte, c'est que ça passe forcément. Ouip, c'est le piège de la carte et de géoportail, on croit que... et c'est l'enfer....
Obstiné qu'il est, tout cela n'a pas empêché David de tenter (et réussir !) ce raid, avec quelques improvisations par rapport à son projet initial et malgré une météo peu favorable (orages !).
C'est son récit que vous allez pouvoir lire ci-dessous, recueilli quelques jours après son retour et accompagné des photos prises durant le séjour. Ecrit dans un style "épique" digne des plus grands alpinistes des Alpes, Lionel Terray dans "Les conquérants de l'inutile" ou Walter Bonatti dans "A mes montagnes", on pourrait croire que ce n'est pas la peine d'aller se risquer sur des pentes verticales alpines pour se donner de l'adrénaline et que la randonnée "sportive" et en solo en Corse est bien suffisante pour cela...
Moi-même, plutôt adepte de ce type de randonnée, j'en suis plus que jamais persuadé !
Le sommaire de cet article, organisé par journée :
- Jour 1 : Ascu – Vetta di Muru
- Jour 2 : Vetta di Muru – Bivouac point 1491
- Jour 3 : Bivouac point 1491 – Bergerie de Galghello
- Jour 4 : Bergerie de Galghello - Ascu
Vous pouvez consulter sur la gauche de la page la carte des régions d'Ascu et Popolasca avec la trace GPS du parcours réalisé par David.
Je ne suis finalement pas rentré tant que ça au coeur du Popolasca "inconnu", contrarié par mes déboires de carte mémoire du jeudi puis les orages de vendredi et samedi... Aussi je n'ai finalement fait que du grand classique, me collant aux propositions de Fabrikant ou de Pujos, ce qui me semble pas si mal. Ma grande fierté aura été de n'avoir jamais utilisé le GPS pour m'orienter. Tout à l'intuition et encore plus à la chance, tant j'ai eu du mal à comprendre l'organisation de ce massif beaucoup plus complexe que la carte ne le laisse supposer. Ce n'est pas juste crêtes et ravins...
L'idée de partir d'Asco m'est venue après lecture des pages du Fabrikant que Philippe m'a envoyées : il décrit le passage par la crête du Cornodello pour remonter vers Vetta di Muro. Initialement, c'est par cette crête que je veux terminer mon périple qui ne devra jamais quitter les limites du massif. Je veux rentrer par le Logoniello et rejoindre les bergeries de Bradani par la brèche qui s'ouvre, d'après l'IGN, au sud de Cima Laggiaro. L'arrivée sur Asco en voiture m'impressionne fortement (c'est la première fois que je monte par là) et je ne me sens pas du tout capable d'affronter de prime abord un tel défi. Qu'à cela ne tienne, je rentrerai par là si tout se déroule comme prévu. Mais qu'est-ce qui est prévu ? En fait, quand je parle de plan scientifiquement calculé, il n'y en a pas vraiment. Les « cartons » de l'an dernier m'ont enseigné qu'il fallait planifier au jour le jour et arrêter de tirer des plans sur la comète. Le fil que j'ai envoyé il y a quelques semaines à Philippe n'est autre qu'une trame générale qui me semble jouable dans un monde parfait et la Corse présente pour cela quelques petites aspérités saillantes.
Jour 1 : Ascu – Vetta di Muru
Donc parking au pont d'Asco. Je n'ai pas relu le Fabrikant depuis longtemps. Je sais qu'il faut rejoindre la crête au Piano di Barcalino au plus vite, le tout à travers les genêts particulièrement épineux. Je suis parti à 11h (pour cause d'oubli de carte mémoire de l'APN) et si je veux être ce soir à Vetta di Muro, faudra pas traîner. Je suis comme d'hab un poil chargé et j'ai décidé sur un coup de tête d'abandonner corde et matos de rappel au moment de fermer le coffre de la bagnole. S'il y a un obstacle trop difficile, je suis cuit, mais faut choisir.
Dès les premiers obstacles rocheux, c'est compliqué. Il n'est pas possible de rester sur le fil, mais, à ma grande surprise, les cairns sont relativement nombreux et la rencontre de certains soutènements importants laissent à penser qu'un vrai sentier a existé ici. Jusqu'à "presque" la côte 1474, il faut plutôt rester côté Pinara. La ligne de cairns est assez nette et un passage scabreux est aménagé avec de réelles marches. Mais comment imaginer que des gens passaient par là ? C'est un truc de dingue... A la sortie de ces marches, les cairns suivent une ligne qui ne me convient plus, partant vers le bas. Par contre, un couloir remonte sur une cinquantaine de mètre vers la crête. Je tente sans conviction à quatre pattes de monter. Je n'y crois pas. Les vieux étaient dingues, ok mais pas à ce point. Pourtant, sur la crête, un petit sentier horizontal contourne la côte 1474 par l'autre versant. Grosse vue sur le Logoniello.
Moment de répit jusqu'à 1529m, tout plat sans obstacle mais avec une grosse appréhension qui monte en voyant les trois pointes du Cordonello surtout que je ne sais plus du tout ce que Fabrikant raconte à son sujet. Mon espoir réside dans la continuité des cairns. Plusieurs traces partent. J'opte pour une versant Logoniello qui passe très bas sous les pointes. Mi-éboulis, mi-herbes, la première moitié se passe relativement bien (parce que bien bien n'est pas possible à cet endroit) mais à mi-traversée, je tombe sur une rupture de pente qui me coupe le tracé. L'orage qui menaçait attendait ce premier très gros moment d'incertitude pour éclater. Pas très fort mais une bonne averse qui détrempe et renforce la problématique du passage. Je n'ose pas les trois pas de travers qui me manquent pour reprendre le fil. Je suis persuadé que je suis un poil trop bas par rapport à l'itinéraire logique. Un couloir herbeux pas très raide me semble une bonne opportunité pour rejoindre une nouvelle ligne supérieure. C'est un piège. Plus je le grimpe, plus il se redresse pour finir en un vrai pas d'escalade glissant. Je ne peux pas descendre, c'est trop compliqué pour moi. Je n'ai qu'une solution, poursuivre en serrant les dents jusqu'à la sortie. Je glisse sur les rochers et ne me tiens souvent qu'aux grosses racines ou touffes d'herbe. Si je chute, ce qui sera cool, c'est que je ne rechuterai plus jamais de ma vie. J'ai 50 mètres de vide dans le dos. Je me suis fait avoir comme un bleu. Je monte quasiment en courant et quand je rejoins une mince vire sous le sommet, j'ai le pouls à 200, somme de la montée d'adrénaline et de la course débile. Les genoux qui tremblent encore, je prie pour qu'il y ait une issue. Je me tape une succession de dalles mouillées sur le cul avant de rejoindre un terrain moins pentu et la crête juste au nord du troisième sommet. Çà fait 5 heures que je suis parti, je n'avance pas. Juste sous le couloir facile qui monte au sommet à quelques mètres au-dessus de moi. Je fais l'impasse sur le sommet, pluie et temps perdu. Il y a plus important à faire et je n'ai presque plus d'eau.
Après ce gros coup de stress, le sommet suivant de Calancha di Lama est de trop et j'opte pour le premier couloir qui me parait rejoindre les ruisseaux mères du Logoniello. Comme par hasard, la pluie a cessé. Une descente de malade d'abord sur un gros pierrier croulant avant de rejoindre le maquis épineux habituel à ces altitudes. La pente ne faiblit jamais jusqu'au ruisseau et il faut être très attentif au chemin choisi. Ma tactique vers le bas : descendre face aux arbres pour m'arrêter au cas où. Le ruisseau, premiers aulnes, premier enfer maquisé du voyage, 10 minutes d'épuisement pour 20 mètres. Je suis à la confluence entre deux ruisseaux (au nord de la côte 1446). Mon idée d'après la carte était de remonter le ruisseau qui part droit vers l'est mais le verdict est sans appel, une grosse cascade barre le passage. Je dois remonter le long de barres rocheuses qui s'avèrent très faciles malgré leur aspect impressionnant et atteins par le plus grand des hasards les bergeries des Strette.
C'est bon signe, je dois être sur le bon "chemin", sauf que là, y a plus rien, pas une trace, pas un cairn. Je passe au ras des dalles des Strette et rejoins extrêmement facilement (pour le coin) le ruisseau de Vetta di Muro. Il est 18h30. Au passage je découvre un tafone magnifique...
Là, très grosse erreur de lecture de carte couplée à ma seule utilisation du GPS pour trouver les cabanes. Je suis à l'altitude 1400, j'ai réussi à conserver mon altitude dans mon travers. Au-dessus des cabanes sur la carte, il y a un point côté 1903... Les cabanes sont à 1900 mètres donc... Il me faut monter 500 mètres avant la nuit si je veux dormir sous un "toit". Je commence par remonter en rive droite, beaucoup plus dégagée d'aulnes que la rive gauche. Je finis par tomber sur une barre et dois sortir pour la première fois la machette pour me tailler un passage sur 20 mètres pour traverser le ruisseau. Cette épreuve équivaut largement à 100 mètres de dénivelé. Une vague trace apparaît maintenant jusqu'à la confluence de deux vallons. L'un, asséché, plus praticable que celui de la source, couvert d'aulnes vigoureux. Les cabanes semblent être entre ces deux vallons.
Mon problème... Ma montre se fixe bizarrement à 1600 mètres et ne veut plus bouger malgré mes efforts de montée et pour monter je monte avec l'énergie du désespoir pour réussir mon pari de rallier la source ce soir. Alors entre l'altimètre qui fixe 1600 (montre Fénix) et mon idée des cabanes à 1900, je monte comme un damné dans l'asséché, j'aurai le temps de reprendre vers la source plus haut. Je tombe même sur un gros névé dans le creux du vallon que je remontre droit dans la pente. Puis, d'un coup après réinitialisation du GPS, j'obtiens l'altitude 1720 mètres. Je suis cramé complet, je n'ai plus d'eau. Jamais je n'atteindrai les cabanes ce soir. Un œil (le seul du voyage) sur le GPS et il m'indique les cabanes à 50 mètres à l'ouest. Sauf qu'à l'ouest, il y a un monticule rocheux, c'est tout.
Entre l'idée de l'altitude de la cabane à 1900 et ce que je vois, je me dis que j'ai mal saisi les points ou que ma montre est devenue folle à cause de l'encaissement du ravin et qu'elle a perdu les bons signaux (on se dit des choses parfois). Alors j'abandonne, il est 21h, il fait presque nuit. Je retourne au ruisseau de Vetta di Muro faire le plein en passant au-dessus du monticule et quelle surprise !!!!!!! La source est là !! Je la reconnais, je l'ai vue en photo déjà. Je ne comprends rien sur ma localisation mais les faits sont là, je suis arrivé. Je tombe sur un vrai vieux chemin empierré qui me mène à la source. Sur ma gauche un poil plus bas, je vois quelques murs.
Le plein à la source. Il fait quasi nuit, je cherche les cabanes dans l'obscurité naissante. Je ne veux toujours pas croire mon GPS et ne le consulte pas. 100 mètres plus bas, je distingue des formes géométriques qui ne me semblent pas naturelles. Yessss !!! j'ai trouvé les cabanes. A travers aulnes et genévriers, je déchante vite, il s'agissait de dalles.
Dans cette p... de vallée, y a pas un plat, pas un mètre carré de gazon. Je trouve la seule dalle plate à un million de km2 à la ronde. Dalle qui surplombe de 50m le ravin... Pas le choix, faut dormir là, je ne trouverai plus les cabanes. Pas de tente, juste duvet et sursac. Je me borde côté vide avec quelques pierres de 50kg chacune au cas où j'aurai le sommeil agité. J'ai réussi mon défi. J'ai atteint les sources, mais je dors à la belle étoile. Et dans quel état : 1600 mètres de D+ hors sentiers, quelques frayeurs et passages de maquis intenses. Je me suis cramé pour les jours à venir. Je n'ai même pas la force de manger. J'éprouve une sensation toute bizarre à m'éclairer à la frontale là haut sur ma dalle, seul être humain à des kilomètres à la ronde (je crois) et peut être même, ce soir, je suis le type le plus isolé sur le territoire français. J'ai besoin de me faire discret. Le sentiment que je dérange la nature avec ma lumière artificielle. Le sentiment ne dure pas.
Je m'effondre comme une masse jusqu'au lever du jour.
Jour 2 : Vetta di Muru – Bivouac point 1491
Bon, là c'est plus court...
Un bruit me réveille.Il me faut un petit moment pour localiser la source de ce bruit. 20m au-dessus de moi, un mouflon mâle énorme m'observe. Depuis quand ? Tant que je reste dans le duvet, le face à face dure... Je ne sais pas, plusieurs minutes, peut être 10, je vis un moment d'émotion magnifique. Rien que pour ça, je suis heureux d'avoir dormi dehors. A mon premier geste brusque, il prend la poudre d'escampette.
J'ai les jambes lourdes, mais lourdes... Retour de vainqueur à la source faire le plein et maintenant qu'il fait jour, je découvre à hauteur sur l'autre rive les cabanes... Je suis passé hier soir quelques mètres au-dessus. J'ai même vu les murs que j'ai pris pour des soutènements. Et je suis repassé dessous. N'importe quoi, le mec... Vraiment pas fier... Ah, la fatigue!!!
Remonter le couloir qui amène à Cima a i Mori n'est pas une sinécure. Qu'est ce que c'est raide. Pour éviter les aulnes, je prends droit dans le thalweg, ruisseau monstrueux d'éboulis. A deux doigts de monter à quatre pattes tellement c'est raide. Cette montée n'en finit pas vu mon état physique. Je laisse Bocca Meria sur ma droite et finis par rejoindre un collet sous la cime. Une petite traversée de niveau pour rejoindre la base de la cime avec la voie d'accès normale par le nord et le fameux vallon qu'a certainement emprunté Olivier lors de son tour dans le coin. J'avoue que je suis plutôt désorienté et ne comprends pas l'imbrication des différentes crêtes. Je galère un peu dans les aulnes et, à force de les contourner, je fais le tour complet de la cime sans jamais atteindre le sommet. Et je demeure "bloqué" sur sa face sud-est, face à une toute petite faille. J'abandonne le sac et franchis un petit pas facile d'une dizaine de mètres légèrement exposé qui m'amène au sommet. De là, je découvre le "vrai" chemin d'accès, l'emprunte, retourne chercher le sac pour me taper un p'tit déj gargantuesque sous le soleil.
Bon, j'avoue que ce n'est pas la vue du voyage qui m'a le plus emballé. Un peu sur ma faim (va comprendre) malgré la mer et les montagnes enneigées du Rotondo et du Cinto. Je sais pas pourquoi. Ma descente se fera par le chemin classique et les bergeries de Scaffa.
Un énorme orage me plante deux heures facile dans l'abri relatif de Scaffa. Je suis frigorifié sous les rafales de vent et les embruns qui s'engouffrent par dessus les murs de la bergerie (au moins je sais que je serai trop light dans ma configuration corse qui est aussi un test vestimentaire pour l'Islande de cet été). Adieu le Turone... Il est 18h lorsque je repars sur le chemin de Castiglione, me demandant s'il ne va pas m'en retomber un sur le coin du nez d'ici ce soir. Au moins, je vois que l'exploration systématique autour des aiguilles de Rundinaia est quasi impossible à cause du couvert végétal infernal (des milliards d'aulnes).
Le ravin de la Terrivola est beaucoup plus abrupt que la carte le laisser présager et à cette heure tardive et l'incertitude météorologique, je n'ai pas envie de m'y aventurer. Enfin toutes les excuses sont bonnes pour ne pas le faire. En fait, je n'ai pas de jambes aujourd'hui. Donc je poursuis vers les bergeries d'Alsato. Du versant des bergeries, les aiguilles de Popolasca sur l'autre rive sont fantastiques et semblent plus faciles à "manoeuvrer". La densité végétale y est moindre. Si l'on trouve des faiblesses dans les barres, on doit pouvoir faire de sacrés tours, sans doute bien engagés. Y a notamment un espèce de cèdre solitaire monstrueux. Rien que pour lui, ça vaudrait le coup de remonter un des ravins affluents de la Terrivola. Je suis sûr que certains passages sont accessibles au randonneur... Donc un jour je reviendrai spécifiquement pour ce tout petit bout.
Les bergeries sont magnifiques avec une vraie pelouse, la première depuis mon départ.
Pujos décrit, dans le guide que Philippe a réécrit, un bivouac inoubliable à la côte 1491. Je vais tester. Et, en effet, c'est pas mal. Il y manque juste un point d'eau. L'arche est à 5mn de marche épineuse du bivouac, comme c'est le cas depuis que j'ai quitté la bergerie une demi-heure plus tôt. Elle est facile à trouver. Elle m'a sauté aux yeux tout à l'heure dans la descente de Scaffa. C'est amusant de la voir sous deux angles aussi différents. De très bas au fond de la vallée, puis du dessus sur le plateau...
Mais plus que l'arche, ce qui me touche le plus, c'est le mugissement des taureaux qui "discutent" d'une crête à l'autre. exactement le bruit du brame du cerf, ce bruit profond, grave et sans fin qui sort du fond de l'âme. On se prendrait à croire à la présence de l'ours ou d'une bête infernale tapie dans les entrailles de Popolasca.
En train de tout déballer pour m'installer sur ma pelouse face au Rotondo enneigé quand une masse noire sort des broussailles à quelques mètres de moi... Un taureau, noir, énorme, écumant... qui s'arrête en me voyant, pousse un de ces monstrueux mugissements en faisant tomber un gros filet de bave. Je me demande s'il est pas carnivore çui-là... A part lui dire « hé ho, fais pas le con, mec... », je suis tétanisé. Un quidam m'avait expliqué quand j'étais gamin que l'espace vital nécessaire à un taureau était de 300m et qu'il chargeait tout intrus dans ce périmètre. Autant dire que séparés de 10m, j'en mène pas large. Il me regarde quelques secondes et puis se barre, tel Louis XIV snobant sa valetaille dans la galerie des glaces. Le roi est là, place au roi ! En tout cas, je suis désormais rassuré sur le comportement du taureau.
La nuit est pleine d'étoiles... Je les toucherai des doigts s'il ne faisait pas si froid pour sortir les mains du duvet, heureusement très efficace. Au petit matin, mon sursac est couvert de givre, il fait 2°C.
Jour 3 : Bivouac point 1491 – Bergerie de Galghello
Je suis finalement dans les temps avec ce bivouac à cet endroit, exactement là où je souhaitais être après deux jours. Sauf que j'ai shunté quand même tout un tas d'options envisagées dans mon fauteuil à la maison. C'est la journée de tous les dangers, du quitte ou double. Soit j'arrive à franchir la barrière des aiguilles de Rundinaia et je termine mon tour, soit je prends un but et il va falloir tendre le pouce demain pour rejoindre Asco depuis Castiglione (et au vu de la fréquentation automobile du quartier, c'est pas gagné). Là aussi, j'ai pas relu le récit d'Olivier depuis longtemps et j'ai pas du tout les éléments en tête d'autant plus que je le fais dans l'autre sens. Je sais que c'est vers la brèche à la cote 1755 que ça se passe.
Sous mon bivouac, "l’abîme" qui me rappelle mon shoot sous Posto di Condutori dans les Ferriate... Ouille ouille ouille... Une petite angoisse me vrille les intestins. Deux lignes de cairn partent de mon bivouac, une en courbe de niveau sur une vire, l'autre plonge dans le ravin. J'aime pas les vires étroites, je préfère celle qui plonge. Mon choix est compliqué parce que je n'arrive toujours pas à comprendre comment cette montagne est foutue et que je ne sais toujours pas, après trois jours, transposer les informations de la carte sur le terrain. Je sais que je dois atteindre le col coté 1531. De là, je pense que ce sera gagné. il devrait être à main droite mais je ne vois que barres qui tombent et me barrent le chemin (ce qui est leur job, note).
Donc j'opte pour la descente, sauf que, très vite, je comprends que je dévie trop à gauche et que je me jette dans le ruisseau de Cassa (que j'avais envisagé il fut un temps)... Et qui doit valoir le déplacement, mais, bon, j'ai décidé autrement hier soir.
Dans le plan initial, je voulais descendre ce vallon jusqu'à la confluence, puis remonter le torrent le plus haut possible vers Bocca Meria. Au contraire, je vais le prendre par l'amont et le ferai en aller retour en stoppant au premier point bloquant. Sauf que l'orage monte et que faire trempette risque d'être une fort mauvaise idée. Mais déjà il faut l'atteindre ce fameux point amont et trouver d'abord le passage de la brèche. Donc, je quitte vite le vallon de Cassa pour une traversée dégueulasse qui me ramène sur la vire ignorée au départ qui est loin d'être aussi scabreuse que je le pensais. Y a des vaches qui s'y promènent et elles ont même dressé tout un tas de cairns. Par une succession de ressauts contournant les barres, j'arrive comme une fleur au pied du fameux col 1531, sans aucun effort. La remontée est physique mais sans problème technique.
Pujos décrit le point 1491 comme un bivouac de rêve : le point 1531 est à mon sens encore plus beau, à peine à une heure et qui avance drôlement pour qui veut tenter le passage. La vue sur Rotondo et compagnie est fantastique.
Par contre la descente dans le ravin en contre-bas, que je pensais cool d'après les courbes de niveau, doit être terrible et je ne parle même pas de la remontée en face. Donc, il faut vraiment passer la brèche pour s'en sortir. Le salut est à l'amont...
Du point 1531, une belle ligne de cairns mène au pied de la fameuse brèche 1755. Au pied, je lape une source qui sourd difficilement de la roche. Il me faut 1/4 d'heure pour réussir à étancher ma soif et à recracher les petits graviers que j'aspire. De ce point, je suis au pied de la Grande Crête (je ne comprends toujours rien à l'orientation). Deux couloirs forment un Y d'où je suis. Au nœud du Y, un immense cairn. Grosse montée mais facile. Sans le maquis depuis le point où j'ai récupéré le maquis, je pourrais marcher en pantoufles. C'est simple comme dans un rêve. Intuitivement, il faut prendre la branche de gauche qui s'écarte de la ligne de crête principale... sauf que maintenant que je vois ma trace sur la carte... ben je me suis narré, et bien narré... Cette crête n'était pas celle de la ligne de partage des eaux. Il s'agissait d'une crête secondaire. J'ai vraiment rien compris à la topologie jusqu'au jour 4 et mon observation depuis les crêtes de Galghello (et encore...).
Bref, je prends donc depuis mon gros cairn du centre du Y à gauche. J'aurais dû me dire qu'il y avait un bug puisque les cairns disparaissent de suite, mais c'est si simple. Mes cairns sont les bouses de vache. Et si une vache passe, je dois pouvoir passer aussi. Et j'arrive à une brèche... Non, mais c'est pas possible que ce soit aussi simple, c'est pas possible... La brèche, longue d'une centaine de mètres, horizontale, entre quelques tours. Mais, plus j'approche du bout, plus je commence à avoir les doutes qui m'assaillent. Les difficultés m'ont laissé tranquille pour se concentrer toutes au même endroit.
Fin de la brèche horizontale. Bascule dans une descente démente qui m'explose les cuisses pour me retenir et en face me remonte une immense barre infranchissable. Tout en bas un ruisseau qui tombe en cascade dans un ravin.
J'ai besoin d'eau, donc, déjà, il faut que je descende rien que pour boire. Mais il me semble pas qu'Olivier mentionne un torrent dans sa brèche à lui. Et j'ai beau lire la carte, je comprends rien. Je n'arrive pas jusqu'au lit, bloqué 10 mètres au-dessus sur une corniche. NON !! si près du but !! Et quand bien même, comment je ferais une fois en face avec cette barre ? Il y a un canyon en dessous, je serai bloqué quelque soit la rive choisie. Mais bon, je cherche... Et vraiment, contre la paroi de droite que je longeais, il y a une petite vire de 50cm de large sur une dizaine de mètres qui descend tout doucement vers le ruisseau. Il me reste 2,5m à désescalader pour atteindre le lit. Je décide que je pourrai remonter sans problème si je dois rebrousser chemin, jette d'abord le sac et finis de descendre avec une facilité déconcertante (je dois devenir un grand alpiniste)... Je bois jusqu'à vider le torrent, puis me concentre sur la rive droite. J'ai 100 mètres à faire pour dépasser le ravin et retrouver une pente échappatoire facile dans la direction qui me convient. En fait la paroi de la rive droite n'est pas lisse. Il y a un énorme bloc qui forme le ravin sur la rive droite, juste sous la barre abyssale (je change mes qualificatifs) totalement lisse, monstrueuse, bref infranchissable... Et là... entre les deux, une mini-vire où deux anorexiques ne se croiseraient pas. Je tente, ça passe... Une pelouse, une bouse vieille de 100 ans (que j'étudie pour être sûr que c'en est bien une)... L'espoir renaît, une vache n'a pu venir que d'en face, donc on peut s'échapper devant. C'est gagné... Une autre vire similaire encore plus étroite où mon sac se bloque...
Et c'est la libération... Je suis passé, je sais maintenant que demain soir je serai à Asco. Il est à peine 11h du matin. Les nuages noirs sont en avance par rapport à hier. L'orage va tomber beaucoup plus tôt aujourd'hui. Adieu l'idée d'explorer les vallons dans les entrailles de Rundinaia.
En courbe de niveau, je contourne le vallon de Bocca Meria pour rejoindre la magnifique bergerie de Teghia qui est malheureusement fermée en dehors d'une dépendance au confort sommaire. Une sieste récupératrice dans le "jardin" et je me réveille à 12h30.
La pluie n'est pas loin, mais je décide de rejoindre Galghello à moins d'une heure d'ici. Un bon chemin cairné en courbe de niveau y amène très rapidement, même si je décide un moment de longer le ruisseau (sans intérêt).
J'arrive à la bergerie, toujours aussi belle que sale et de plus en plus délabrée, avec le toit qui commence à perdre ses bardeaux. Se poser, rencontrer une harde de petits marcassins du jour (trop marrants) et un nouveau taureau au regard patibulaire mais presque. Et l'orage éclate un peu avant 15h... Grêle, vent... Jusqu'à 19h... Et moi encore une fois qui passe à travers les gouttes, j'ai un de ces bols... Alors je lis, je bouffe et surtout je dors... Pas facile trois jours pleins de maquis.
Jour 4 : Bergerie de Galghello - Ascu
Beaucoup de mouflons sur les crêtes de Sierra Piana.
Comme j'ai du temps et que je suis sorti de l'entité Popolasca, je me décide pour l'interminable montée à Capu Biancu. Intéressant avec un paysage complètement différent, très minéral... Et cette vue sur le massif du Cinto et les sommets du cirque de la Solitude. Le brouillard monte si vite que je ne m'attarde pas au sommet, enfin au presque sommet, car je n'ose pas m'attaquer aux derniers mètres qui me semblent relever de l'alpinisme sérieux.
La longue descente enfin sur le sentier connu Ile-Rousse/Corte. Pèlerinage pour moi à la cabane des chasseurs où j'avais dormi en 2009, puis la grotte et la cascade du ruisseau. J'adore ce chemin... mais ce col, ils sont fous, ils l'ont tracé trop raide. Je comprends pourquoi j'avais tant pleuré à la montée en 2009 avec un sac aussi lourd. Une baignade glacée pour finir dans le ruisseau de Pinara juste au-dessus du pont génois, et je rencontre un autochtone du coin qui connaît la montagne comme sa poche et que j'avais rencontré déjà en 2009 (trop rigolo comme on a réussi à se remettre...).
Mais, important, je sais comment il s'appelle désormais et je crois que c'est le fameux chasseur que tous tes thuriféraires de Corse sauvage rencontrent dans le coin : le chasseur joueur de bridge ex-scaphandrier de la Comex. Georges (et son frère Louis qui a l'air bien cintré dans le genre marcheur solitaire de l'extrême, style le GR20 en 3 jours de course - je pense que je suis un petit garçon à côté de lui -). J'ai discuté avec les deux au bistrot d'Asco et ils m'ont parlé d'un tas de possibilités pour rejoindre Vetta di Muro depuis Asco et notamment d'un qui remonte le Logoniello depuis la passerelle détruite dans la face de la Traunata. Du village, ils m'ont montré le sillon du sentier dans les barres. Çà m'a l'air d'être un bon truc de dingue (il m'a juste dit, comme tout bon moniteur d'alpi, qui se respecte qu'il n'y a pas de danger objectif) mais je ne suis pas capable d'expliquer le tracé sur la carte (et eux non plus je crois aussi).
Le texte de cet article et les photos ont été envoyés dans la foulée du raid tant que j'étais chaud et avant de me projeter sur l'Islande dans un projet du même style que la Corse dans l'engagement (mais sans les arbres bien sûr) où je ferai 3/4 jours de raids dans les nouvelles coulées de lave de 2010.
Adieu les chaussures (comme cette fois à Popolasca où je les ai ruinées)...
D'après le GPS, le tracé fait état de 52km et 4600 mètres de dénivelé !
Chuis content de moi
Rappel de la carte IGN sur la gauche de la page pour visualiser le tracé de l'itinéraire de ce raid en boucle.
Voir les photos de ce raid par David ci-dessous :
Commentaires
à Antoine: et c'est parti, zou, explications et traces par mail!!! :)
bonjour est t'il possible de récupérer les données car j'ai du mal a trouver le chemin entre castiglione et bergerie de penna rossa
ainsi que de la crete de bercalina vers bergerie de strette et ensuite vetta di muro
par avance merci si c'est possible ou alors avoir votre mail pour vous envoyer des photos et vous expliquer ou j'ai buté plusieurs fois
a tres bientot j'espere
colombaniantoine@wanadoo.fr
@david
Je me faisais exactement la même remarque que toi concernant la traversée du Cornodello, d'ailleurs je ne vois pas d'autre point de passage que ce raide couloir herbeux, à droite des deux sommets. Reste à savoir, en effet, ce qui se cache de l'autre côté...
Après, je comprends que tu aies voulu rester sur le versant Logoniello, ton but étant de rejoindre ensuite, dans les moins mauvaises conditions possibles, le ruisseau de Vetta di Muro.
Au sujet des cotations de Fabrikant, je ne sais pas trop quoi en penser. Certains parcours m'ont paru un peu plus faciles que ce qu'il décrivait, d'autres plus difficiles. Dans tous les cas, ce qu'il considère comme facile ne l'est pas toujours (loin de là) dans l'absolu, et il est intéressant de lire (cf. les premières pages du guide) ce qu'il met exactement derrière ces cotations. Par exemple, de mémoire, la boucle du Ceppu est classée comme "facile" (avec la distinction facile inf. et facile sup. qui permet d'affiner l'évaluation) parce qu'il n'y a aucun passage technique : reste que la boucle est très longue, le dénivelé cumulé conséquent (3000 mètres) et l'orientation loin d'être évidente. En bref, le système de cotation adopté par Fabrikant me semble être davantage celui d'un alpiniste que d'un randonneur ! Les randonneurs qui se réfèrent à ses descriptions peuvent donc, parfois, avoir de mauvaises surprises...
Bah, moi j'aime bien les bouses. Je suis sûr qu'elles deviennent comestibles une fois bien assaisonnée (comme au mac-do).
Vincent
En effet, je suis extrêmement content d'avoir loupé les cabanes et dormi à la belle étoile. Ca m'a permis le luxe rare de croiser ce magnifique visiteur.
Cette crête du Cordonello... J'y ai pas mal réfléchi par la suite. Quand on regarde la carte, il faut quand même se dire que le type a un problème dans sa tête pour passer versant Logoniello à la vision des courbes de niveau alors que ça ressemble à une "promenade" du côté Pinara.
Si tu regardes la photo choisie par Philippe pour illustrer l'article, il s'agit de l'arête nord du Cordonello. On voit bien ce couloir herbeux qui remonte à droite de la première cime. Je suis sûr que c'est par là qu'il fallait passer. Derrière j'imagine que ce n'est pas trop méchant (je dis bien "j'imagine").
De toutes façons, il faut toujours faire gaffe aux descriptifs de Fabrikant (à mon humble avis). Il ne se mettait pas trop au niveau du commun des mortels et avait tendance, me semble t-il, à sous-coter les difficultés de ses topos.
David,
Félicitations pour cette boucle superbe, réalisée au cœur de la "Corse Sauvage" ! Finalement, le hasard fait bien les choses car, même si tu n'as pas dormi, la première nuit, dans les cabanes de Vetta di Muro, tu as eu la récompense, le lendemain matin, d'être réveillé par ce fier mouflon, et même de pouvoir le photographier... Une telle rencontre n'aurait jamais eu lieu si tu avais trouvé les cabanes des curistes !
J'ai relu la description, par Fabrikant, de la traversée N-S de l'Arête du Cornodello (itinéraire A38) : classée comme "facile" et "pouvant être parcourue de bout en bout sans difficulté particulière". Ce qui me surprend, c'est que Fabrikant recommande
... mais, en découvrant les photos de David, je reste perplexe devant un itinéraire qui n'a vraiment rien d'évident, à première vue !En tout cas, il y a matière à exploration, et peut-être une alternative à l'interminable sentier qui monte au Col de Serra Piana par les Bergeries de Cabane... enfin, pour Fabrikant !
Sylvain
Là aussi, le canyon de Paratella est considéré par les canyoneurs corses comme une "bouse"...A faire en remontée donc :reyes: et en en profitant pour faire le sommet de Punta di Mantellucciu.
plus que les falaises et autres incertitudes de franchissement, ce sont vraiment les rencontres "animales" qui m'auront marqué.
Ce mouflon avait carrément une gueule d'acteur de cinéma et les taureaux croisés bave au lèvres étaient encore plus imposants...
Mes vidéos pour capter le son de leurs mugissements sont malheureusement trop mauvaises et la qualité audio désastreuse. C'est dommage.
Entre Paradella et Paratella, il n'y avait qu'un pas orthographique que je compte combler au plus tôt ;)
La photo du mouflon de Vetta di Muru a de la gueule quand même :!:
@david :
Bah, la visite du ruisseau de Paradella devait bien valoir le détour, non ? ;-)
bah!!! c'est moins pire que l'usine.
Et à l'usine pourtant je suis payé pour y'aller ;)
Et tu m'avais quand même sacrément défriché l'itinéraire (sauf le Y où j'y suis allé de mon improvisation).
Encore toutes mes félicitations sur cette aventure (in)humaine !!!