Exploration à la Punta di a Spusata
Par PhE le dimanche 20 octobre 2013, 19:14 - Ravinisme - Lien permanent
Pour varier un peu après les multiples articles d'Olivier (Hespel !), qui en a encore tout un tas en réserve (!), voici la diffusion d'une exploration que j'avais réalisée le 20/07/2006 lors de vacances à Sagone pour explorer le massif de la Punta di a Sposata avec l'objectif de monter au sommet de cette cime qui n'a sans doute pas été escaladée par beaucoup de monde !
J'avais déjà écrit l'article alors, mais l'avais mis comme "Page spéciale" sur le Blog, ce qui semble en atténuer la visibilité... Compte tenu de l'intérêt de l'objectif, de la beauté et de la sauvagerie de ce massif peu connu et peu fréquenté, il me semble obligatoire de le faire paraître parmi les articles standards du Blog.
Cette pointe très difficile à approcher et, sans doute aussi, très délicate à réaliser dans son escalade finale (qui doit dépasser le 4 et imposer l'usage de la corde), m'avait été suggérée bien entendu par Charles (Pujos) qui s'y était plusieurs fois cassé les dents en essayant différentes approches à partir de Muna qui avaient toutes échoué dans un maquis décourageant. Et comme, cette année-là, une semaine de mes vacances se déroulait à Sagone, l'opportunité m'avait été offerte de me confronter à cette Punta di a Sposata et son sommet si difficile à atteindre. Sept années après, je n'ai toujours pas trouvé l'occasion d'y retourner (Charles non plus, je pense !) et je n'ai toujours pas été informé de quelqu'un qui ait réussi cette ascension et m'en ait indiqué les détails. Seul, Fred Bruschet, grimpeur-randonneur d'Ajaccio, nous a laissé à l'époque un vague commentaire pour signaler qu'il avait réussi cette ascension, mais il n'a ensuite jamais répondu à nos questions, ni confirmé des détails de l'approche et de l'ascension (?). Une occasion peut-être de réparer cet oubli cette fois-ci ?
Vous pouvez consulter la carte sur la gauche de la page pour visualiser le tracé de cette approche d'A Punta di a Spusata.
Le ciel bleu s’illumine petit à petit en ce début de matinée corse et aucun nuage ne pointe en altitude au-dessus de la haute vallée du Liamone : encore une belle journée en prévision pour ce 20 juillet 2006, avec une chaude température classique en Corse en cette saison alors que le reste de la France se plaint d’une canicule inhabituelle ! 08h30 : quelle drôle d’idée de venir seul de si bonne heure sur cette espèce de piste perdue qui mène de Murzu à Muna et de se retrouver à la barrière métallique verte qui marque le pont sur le ruisseau de Tigliu ? Déjà presque une heure de voiture pour se rendre ici depuis Sagone et maintenant l’inconnu : je ne sais rien de ce que je vais trouver ensuite. Mon objectif est la Punta di Spusata dont la spectaculaire forme d’enclume avait attisé ma curiosité lorsque je l’avais aperçue depuis Vicu.
Mais je n’ai aucune information sur son accès, ni même sur sa difficulté : après avoir hésité à partir de Muna, j’ai choisi ce ravin de Tigliu, où, deux jours avant, j’ai repéré un départ de sente pour démarrer mon parcours en ayant comme cible le col bien visible au Nord de la pointe. Le chemin doit bien y mener (à part Rome, je ne vois pas où ce chemin peut aller ailleurs) ! Et me voici empruntant cette sente (de chasseurs)… Bien tracée et large au départ, elle arrive très vite à une fourche dont la voie principale monte sur la droite du ravin. Selon la loi du moindre effort, c’est par cette branche que je choisis de continuer, sous une voûte végétale qui masque presque complètement les rayons du soleil. Très vite, la trace monte plus sèchement et en bifurquant franchement à droite en direction de la crête de Lucu qui nous domine.
08h45 : Raté, ce n’est visiblement pas la bonne direction et je décide de revenir à la fourche afin d’essayer la branche de gauche. Cette fois-ci, l’autre sente, bien que plus étroite, me ramène au ruisseau de Tigliu et poursuit le long de la rive gauche selon un cheminement plutôt sympathique pour une « sente corse de chasseurs » (ou une sente de chasseurs corses ?). Cheminant toujours sous son tunnel végétal obscur, la sente m’emmène plein Est en traversant une forêt touffue et diversifiée (chênes-verts, arbousiers, genévriers, …) au milieu de laquelle le passage est aisé. 09h00 : très vite ensuite, les difficultés apparaissent… Arrivée à un muret de pierres moussues marquant une ancienne "carbonara" (charbonnière) où le sentier s’évanouit complètement et ne revient que 200m plus loin après avoir traversé une zone d’orties proche du ruisseau, interruptions de plus en plus nombreuses de la trace, multiples amorces de traces annexes menant dans tous les sens, …
C’est bientôt un sentier virtuel sur lequel j’avance, mais rien que de très normal dans ce pays ( ! !), et me voici obligé de mettre en œuvre toute la palette des techniques de progression que j’enseigne sur le Web, alors que la sente devient une vague trouée éthérée dans les ondes des buissons qu’elle traverse : explorations multiples de diverses variantes, observation attentive du terrain, repérage des signes de progression, élimination des impasses, construction de cairns ou mise en place de signaux pour le retour, … 09h30 : malgré tous mes efforts, pourtant, les traces m’emmènent irrésistiblement vers la droite et le Sud en remontant plus abruptement la rive gauche du ravin vers le Capu di u Lucu qu’on aperçoit par instants entre les arbres. Enfin, la sente retrouve une certaine consistance en rendant la progression plus aisée le long d’une petite arête annexe et me voici bientôt émergeant du tunnel de végétation en arrivant sur la crête !
10h00 : je suis à un col entre le Capu di u Lucu à l’Ouest et la Punta di a Spusata, invisible, à l’Est. La consultation de la carte IGN me fait repérer ce col bien marqué à 850m d’altitude, mais bien loin de mon itinéraire cible vers le col Nord de la Spusata. En fait, j’ai atteint l’arête Ouest de la Punta di a Spusata par laquelle je vais devoir poursuivre mon chemin. 10h05 : après une brève halte, je décide de repartir pour explorer le terrain au-dessus. Cette fois-ci plus de sente pour progresser ! A la place, un parcours d’arête rocheuse chaotique, entrecoupé de ressauts rocheux abrupts et encombré de formidables zones de maquis : nombreux arbres et arbustes calcinés entrelacés, taillis touffus de chênes-verts déployant leurs branches jusqu’au sol, touffes de calycotomes et épineux redoutables, …
C’est donc en progression hors-piste que j’aborde une traversée ascendante vers une brèche sous la pointe 1182m qui précède le sommet de la Spusata : cette brèche me semble le moyen le plus simple de contourner cette pointe pour accéder au couloir séparant les deux pointes et, plus loin, au col Nord que je voulais atteindre. Mais j’ai complètement sous-estimé le cheminement dans le maquis pour y parvenir. Première épreuve : une reptation pénible et salissante pour passer sous les branches verticales d’un gros bosquet de chênes-verts. Deuxième épreuve : un 400m haies, mais avec une haie tous les 20cm à 1,50m de hauteur, que Stéphane Diagana lui-même n’aurait sûrement pas apprécié. Elles ont vite raison de ma détermination et m’obligent à revenir sur mes pas, manière la plus simple de sortir de ce guêpier !
10h40 : après la force brute, la réflexion ! J’aurais d’ailleurs mieux fait de commencer par là. En effet, depuis un petit ressaut juste au-dessus du col, un examen attentif et raisonné du terrain au-dessus me montre qu’il y a sans doute un cheminement possible, par la droite de l’arête, pour atteindre une brèche au-dessus de la précédente le long de l’éperon Ouest de la pointe 1182m. Effectivement, malgré une farouche résistance du maquis, illustrée par de multiples blessures sanguinolentes sur bras, jambes et torse (ah, ces p… de branches horizontales durcies par le feu !), je réussis à atteindre la brèche supérieure convoitée, couronnée par un magnifique pin laricio qui en marque le franchissement.
11h20 : après cette brèche, je pense retrouver un terrain plus aisé, mais en fait la suite s’avère être une traversée aérienne délicate au-dessus de la barre rocheuse qui sépare les deux brèches, suivie d’une montée dans un petit bois de pins et d’une nouvelle traversée jusqu’à buter sur le bord rive gauche du couloir W de la Spusata qui sépare les deux pointes.
11h40 : là, c’est l’impasse ! Deux possibilités : soit rejoindre le fond du couloir par une traversée en désescalade délicate, puis remonter le couloir entre les deux pointes, mais la petite descente est délicate et le couloir débute par un ressaut rocheux qui me paraît demander des talents de grimpeur et non de randonneur, soit entamer la remontée d’un couloir rocheux, un peu au-dessus de moi, menant en traversée vers la gauche au-dessus du ressaut indiqué précédemment dans le fond du couloir.
C’est cette deuxième solution que je prends, mais je suis très vite confronté à de l’escalade en 3 puis 4 qui m’oblige à redescendre (je suis a priori venu faire de la randonnée !). Retour sur mes pas donc, sans regrets compte tenu du caractère raide et exposé de ce couloir et en me disant que je vais devoir contourner toute cette partie plus bas sous la barre rocheuse à mes pieds.
12h10 : de retour à la brèche supérieure et son laricio ! Je descends à la brèche inférieure par une désescalade rocheuse facile de l’arête joignant les deux brèches, continue par la descente de son couloir Nord pour me retrouver sous la barre rocheuse et entame la traversée vers le Nord-Est qui pourrait me mener vers le col Nord recherché. Et c’est à nouveau, un échec cinglant : cette traversée est immédiatement barrée par un mur de maquis et de ronces, infranchissable sans puissants outils de jardinage (le napalm ?), contre lequel je viens buter irrémédiablement !
12h30 : à nouveau de retour à la brèche supérieure, vert de rage de ne pouvoir trouver le bon cheminement. En désespoir de cause, j’entame la remontée des vires herbeuses au-dessus de la brèche menant vers la face Ouest de la pointe 1182m jusqu’aux ressauts rocheux. Ceux-ci sont rayés par des couloirs à 45/50°, encombrés d’une effroyable végétation. Enervé par mes échecs précédents, je gravis ces couloirs en luttant comme un forcené pour franchir les obstacles incessants que constituent les arbustes et branchages incrustés dans ces structures et arrive à 15/20m sous le sommet de la pointe 1182m. Epuisé par mes efforts précédents, je n’ai pas le courage de poursuivre jusqu’au sommet, sachant que la descente menace d’être aussi pénible que la montée. Mais j’ai ainsi la consolation d’avoir quasiment gravi la pointe 1182m de la Spusata au lieu de la pointe 1191m que je m’étais fixé !
13h30 : Nouveau retour à la brèche supérieure, dont le laricio commence à me sortir par les yeux ! Et descente immédiate pour le col 850m atteint vers 14h15 . Déjeuner et repos réparateurs, avant une descente qui s’avére sans soucis et un retour à la voiture vers 16h.
18h00 : Retour à Sagone. Bien entendu, tout le monde se moque bien de mon récit de cette épopée et de la « première d’un pinzute de la pointe 1182m de la Spusata ». « Tu nous racontes des salades, Philippe : tout le monde sait bien que le Liamone est une région à vaches. Il n’y a pas de rochers là-bas et rien ne permet ce type d’aventure ! ». Même la vue de mon corps, atrocement couturé par les blessures du maquis, n’émeut personne dans ce groupe où seul le « coup de boule » de Zidane à la Coupe du monde de football peut encore animer les conversations… Et voilà comment le talent d’un infatigable explorateur de l’inutile reste aussi méconnu !
Pour mieux cerner cette région « à vaches », vous pouvez jeter un oeil à la carte du massif de la Spusata sur la gauche de cette page avec le tracé approximatif du parcours (pas de trace GPS)...
Voir les photos de cette épopée dans le diaporama ci-dessous :
Commentaires
Les dernières nouvelles de la Punta di a Spusata !
Il m'aura fallu attendre octobre 2021 pour avoir enfin des renseignements clairs et détaillés sur les voies d'accès à la pointe et un récit de son ascension (peut-être la première ?) en 1964 par Robert Romanetti...
Voir l'article du blog - Un récit d'ascension de la Punta di a Spusata (1964) - qui en donne le récit par son auteur, Robert Romanetti, alpiniste guide bien connu à Chamonix et dans les Calanques dans les années 60, qui, de retour sur son île, nous a donné quelques belles voies le plus souvent en "terrain d'aventures" (arête de Zonza à l'Acellu - Bavedda, arête des Casette à la Punta alle Porte - Liamone et 3 voies sauvages à la face W du Capu Tafunatu - Falasorma). :-)
@olihulk :
Oui, la Spusata qui est l'objectif est bien sûr la pointe la plus haute et aussi visiblement la plus compliquée ! Je ne suis pas sûr que mon itinéraire soit le meilleur sauf à essayer de prendre la vire en-dessous comme je l'ai essayée mais empêché par un gros mur de maquis. Par là, une fois traversé le maquis, on doit arriver en bas du couloir entre les deux pointes, mais je suis incapable de dire si c'est facilement grimpable ! Mais je n'ai pas vu les deux autres versants possibles, ouest (paroi pas facile !) et nord (couloir opposé pour monter au petit col entre les deux pointes)...
Tu parles de l'"oreille" de la Spusata à 1191. Je trouve quand même que le 1182 est plus qu'une consolation. Mais dans ce cas, n'y a t-il pas de l'escalade à faire ?
Le mieux c'est de reprendre ton itinéraire puisque c'est le meilleur avec qq outils si jamais mais aussi une corde et des baudards... Qu'en penses-tu ?
@olihulk :
Pas de problème pour chercher la saison prochaine à explorer ensemble ce coin, si mes genoux me le permettent...
Depuis Muna, le problème c'est le maquis...
Les tentatives de Charles depuis le village de Muna avant 2006 ne l'ont amené qu'à réussir à monter vers le NW au col 850 que j'ai moi-même atteint dans mon exploration : mais il y a mis visiblement beaucoup plus de délai et n'a pu, faute de temps, aller plus loin. Un essai vers le NE s'est avéré encore moins probant puisqu'il n'a pu atteindre aucun col ou brèche.
En relisant ses commentaires sur le Blog (Cf. commentaire 3, commentaire 11, commentaire 13 sur un article concernant les vires du Tafonatu et de Scaffone qui avait été très prolifique en commentaires à une époque où le Blog encore tout neuf attirait plein de nouvelles discussions !), on s'aperçoit qu'il a aussi fait une tentative en 2007 par la crête de la Punta di Curiccia en descendant le vallon de Tigliu (celui que j'ai remonté au début) jusqu'à 630m d'altitude avant d'abandonner devant la végétation...
Bref, c'est pas simple... Mais j'ai aussi un commentaire du 20/11/2006 de Fred Bruschet, à l'époque administrateur du blog GrimpeInfoCorse, où il donne des éléments (très elliptiques !) indiquant qu'il est monté au sommet. Pas moyen, malgrè plusieurs messages de relance, d'avoir d'autres détails sur cette escalade et surtout sur l'approche...
La montée (ou presque) à la pointe 1182 n'est qu'une mince consolation par rapport au vrai sommet, la pointe que l'on voit de Vicu, Murzu...
Je connais la région, ce coin en particulier, non, je veux dire je me suis jamais approché comme toi de la Spusata d'aussi près. Je suis monté par le sentier de Murzu mais j'ai pas l'impression que l'approche par là soit très aisée : barres rocheuses sacrément inhospitalières. Mais à ce moment là, je n'ai pas vraiment cherché, alors qui sait ? Depuis Muna, Géoportail semble indiquer des solutions mais je pense que ton expérience est plus fiable qu'une simple photo satellite même en relief. Mais je serai ravi d'explorer avec toi.
Ceci dit, la pointe connexe de la Spusata, tu as failli y arriver : je trouve que c'est déjà pas si mal si on y arrive.
@olihulk :
C'est sûr que c'est un coin qui marque ! Je ne sais pas si tu connais cette région et si tu as essayé d'y faire des trucs de ce genre ?
Avec le recul, je ne suis pas sûr du tout d'avoir trouvé la bonne approche et le bon moyen de monter là-haut. Le couloir à gravir semblait vraiment délicat en bas et il n'est pas évident que cela passe. Inversement, il reste à essayer d'autres approches, en particulier par l'Ouest depuis le beau sentier qui monte de Murzu à la MF de Libbiu... Depuis Muna, cela ne semble pas plus facile en haut et l'approche dans le maquis semble encore pire !
Mais peut-être que 7 ou 8 ans plus tard la végétation de la région est plus abordable ? ;-)
Je t'adresse quand même mes félicitations pour être arrivé jusque là.
Bravo. Et seul en plus.
Réduit à ressasser le passé... Faute de mieux. :)
Non sans humour, en tout cas, le style Bigfoot serait-il tendance ?
En tout cas, tjrs aussi fou, quel plaisir de s'"enfrugner" dans les pires lieux qui soit, et oui, c'est bien la moyenne montagne qui pour moi est vraiment le plus dur et dangereux en Corse... Mais dès que tu es remis sur pied, je t'accompagne !!! On va se la faire cette "mariée" ! Enfin, vous m'avez compris.