Les aiguilles de Popolasca depuis le sommet du Turone Le secteur de Popolasca est vraiment un lieu particulier, espèce d'îlot géologique échoué dans un ensemble différent. Le pendant de Bavella, à l'opposé géographique de la Corse. Il s'agit comme pour lui de granit alcalin (ensemble U3 pour les géologues) même si la couleur et donc la composition diffèrent. En tout cas, comme lui, l'érosion y a créé des structures remarquables souvent comparables dans l'aspect et la splendeur. Le meilleur parcours pour en profiter pleinement reste à mon sens la traversée et la montée sur le col de Chjassu (Cf. « Grande boucle sauvage du massif de Popolasca par Vetta di Muru »).
Cette fois nous allons aborder la région par un endroit encore peu connu, de biais pourrait-on dire, par une entrée discrète et tenter sur le trajet d'aboutir à un sommet tout ce qu'il y a de plus central et représentatif, le Turone.

La montée du début en vue de Moltifao En effet le départ n'est plus sur la Giovelina, piève de Castiglione et Popolasca mais sur la commune de Moltifao, à quelques centaines de mètres du village des tortues. De la départementale qui mène à Ascu, repérer un départ de piste en plein champ au point coté 306. Suivre une mauvaise piste très dégradée (même avec un 4x4, c'est hard !) jusqu'à un virage à gauche à l’altitude 380 où d'imposants chortens immanquables vous invitent à suivre un bon sentier, du moins jusqu'à des ruines pastorales. Une fois arrivé, on monte d’abord par la droite puis l’on essaye tant bien que mal de suivre les cairns et les traces en gagnant rapidement de l'altitude. Ce n'est pas trop compliqué avec un peu d'attention, un GPS comme Jipi aide bien aussi au cas où on s'écarterait. Le maquis est bas et sec, peu d'ombre, on est encore assez bas et il fait rapidement chaud. On passe dans un bosquet très dense de buis (j'adore cette essence et je vais être très bien servi) où se cacherait une fontaine (Cf. carte IGN). Pas vu, pas entendu. A mon humble avis, y'a plus rien... Au mois d’Août rien d'étonnant, surtout que le réservoir en amont est un peu réduit. Prévoir donc pour les gros buveurs ou les retardataires, un stock d'eau conséquent car la prochaine opportunité ne sera pas avant deux heures du départ et encore elle ne doit pas être garantie chaque année.
On sort du tunnel de buis mais la végétation devient plus dense en chênes et arbousiers au fur et à mesure qu'on monte. Après quelques lacets raides, on termine les 500 mètres de montée par une petit plateau sympathique habillé de beaux chênes avec un point de vue panoramique qui embrasse tout l'est, et une dernière ascension sur un pierrier jusqu'à la passe charismatique en brèche de Porta à Paola. C'est rare d'avoir comme toponyme un prénom qui ne soit pas a priori un saint. A moins que ce ne soit une référence au grand Pasquale, ou une muse fatale... Cela mériterait une explication !

Montée à Porta a Paola avec le ravin du Negrettu sur la gauche et Costa a Giuelli Dans la montée à Porta a Paola

...avec un point de vue panoramique qui embrasse tout l'est

La brèche de Porta a Paola versant Ouest

Ce passage nous bascule sur un autre décor très différent, beaucoup plus boisé. Le reste de l'itinéraire va consister à franchir, sur le flanc Nord de la crête abrupte à notre gauche, en suivant les circonvolutions de son relief, la distance qui nous sépare du prochain point de passage, bocca Chjusura (Tiuzzura sur IGN, écrit maladroitement en phonétique, et qui signifie fermeture : logique), à quelques bornes de là (au moins quatre à vue de carte). Voilà pour l'objectif.
Plus facile à dire qu'à faire. Car les pertes de sentiers sont nombreuses, les fausses pistes aussi et cela va démarrer dès le début. Un conseil : « Jipissez-vous » (GPS), ça c'est le best et cela m'a corrigé le premier plantage, mais sinon, et c'est indispensable de toute façon, si vous n'avez plus de cairns (des vrais, pas des pierres isolées) depuis un moment, de sentes évidentes et que ça s'embroussaille sévère, revenez à un point sûr !! Bon, mais pas de panique, ce n’est pas si terrible et j'avoue que l'on s'est plutôt bien démerdé. Et Jipi ne fait pas tout, car un moment (Cf. carte de l'itinéraire), on s'écarte nettement du tracé de la carte, donc mieux vaut compter sur la logique du terrain que sur la position.
C'est en redescendant de la brèche qu'immédiatement nous nous retrouvons dans la confusion d'itinéraire. Et là, première erreur. Je choisis de continuer tout droit et pense voir un cairn sur un gros rocher. Arrivé sur place, rien de concret. C'est là que Jipi intervient et d'après notre situation sur la carte, on s'éloigne du sentier plus à gauche. Je fonce sans difficulté vers le sud et le rattrape.
Au retour, j’ai fait en sorte d'essayer de bien marquer à gauche le carrefour où je me suis trompé par des nombreux cairns : j'espère qu'ils seront encore là à l’avenir... Continuons.
Nous arrivons en quelques lacets tortueux au contournement de la Punta Perelli, plus clairsemée, puis nous enfonçons toujours plus dans une forêt plus dense de chênes verts vénérables avec de jolies vues sur le village d'Ascu et ses environs, ainsi que l'imposant Monte Padru au-dessus qui commence gentiment à se couvrir.

Le versant Ouest de Porta a Paola avec vue sur le village d'Ascu et le Monte Padru

Le beau chemin de contournement de Punta Perelli Dans le contournement de Punta Perelli

J'ai oublié de vous dire que la météo annonce un journée exécrable en ce mois d'Août 2013 avec des orages dans toute la Corse. Ce matin, d’Ajaccio cela avait l'air de péter derrière Vizzavona, ce qui n'était guère encourageant certes, et arrivé au col, miraculu !, grand bleu sur les montagnes. Tout allait bien. Corte nickel, le seul point noir, devinez quoi, le massif de Popolasca.
Les objectifs étaient donc revus à la baisse ce matin, mais pour l'instant à part quelques gros nuages à l'Ouest, rien de méchant. On est bien parti pour arriver aux bergeries de Bradani avant la pluie. Bel aperçu des crêtes du Traunatu plein Ouest et sa dent d'Ascu et du diable (carrée) pas encore couverts. Ça va tenir, je vous dis.
La Punta Perelli rapetisse à vue d'oeil... On gagne de l'altitude et la Punta Perelli, que l'on a contournée il y a peu, va rapetisser à vue d'œil tant par la distance que par l'altitude. Quant au terrain, il passe de zones bien nettes à suivre à des passages a priori refermés mais qui, avec un peu de foi et de repérages de cairns pas toujours évidents, nous permettent d'avancer sans trop se planter.
Le long cheminement en vue de l'arête Nord de Cima Laggiaro avec la Dent d'Ascu et la dent du diable au-dessus La randonnée s'éternise et l'effort de concentration de repérage donne l'impression de ne jamais s'approcher du col de Chjusura, ni même de la première fontaine. On s'alimente à un rare point d'eau issu d'un thalweg humide avec une paille (bien utile) et comme une bouffée de joie soudaine, la forêt se mue joliment en pinède et l'ambiance se transforme d'autant, moins austère. On arrive à la fontaine de Tripulata pratiquement à sec et on continue sans mal avec l'aide d'un tuyau noir interminable, passablement moche, qui nous accompagnera un long moment (c'était quoi le but premier ? Mystère, mais preuve que ce lieu est très prisé par quelques habitants mitoyens). Arrivée au col sous le point 1401, le lieu devient enchanteur. Le décorum est grandiose avec pour arrière plan la crête découpée de Cima Laggiaro et son prolongement à gauche vers Bocca Chjusura. Une vallée profonde à nos pied et, comble de bonheur pour moi, des fourrés denses de buis entre les pins larici.

Le décorum est grandiose...

On franchit donc le petit col et on change notre direction nettement vers le sud. Ne pas hésiter à descendre un peu pour rejoindre une ligne de cairns désordonnée (sinon suivre encore le long tuyau noir qui malheureusement à mon avis sera encore là). On arrive en se plantant un petit peu à l'aller mais sans conséquence sur le timing qui ma foi n'est pas si mauvais : on sera aux alentours de midi à la bergerie que l'on distingue en face. Une traversée de vallon qui n'est rien d'autre que celui du Negrettu, rivière qui descend jusqu'à la piste, annonce une descente raide mais courte, puis une remontée « sympathique ».

Une traversée de vallon qui n'est rien d'autre que celui du Negrettu

On redescend sèchement pour contourner un gendarme imposant de la crête, on croise un petit noir (sanglier) et on arrive doucement à l'un des affluents en amont du Negrettu qui vient directement du Traunatu, et après sa traversée et la fin du tuyau qui devait donc s'alimenter ici, on entame une remontée au Sud comme on peut, les cairns apparaissant et se perdant aussitôt dans ce terrain accidenté mais peu encombré (du moins d'aulnes).
Bradani : des bergeries équipées ! On arrive donc à Bradani et là je tombe sur la bergerie la mieux équipée de Corse : je passe les détails de tous les rangements multiples et variés qui s’y trouvent, en tout cas on peut y coucher, s'y chauffer, même s'alimenter surtout si vous croyez à l'éternité des conserves. Le top, mais bien sûr pas question d'y mettre le désordre et d'y laisser ses déchets pour autant, et faudra boucher la cheminée sur le toit à notre départ pour éviter non seulement l'intrusion des rongeurs mais aussi de la neige et la pluie. Un robinet mobile a été aménagé par un tuyau provenant de la rivière sous Bocca Scaffa.

Arrivée aux bergeries de Bradani Les bergeries de Bradani

Le site des bergeries de Bradani

Le temps se couvre en tout cas. On a toute l'après midi devant nous mais on n’a pas encore décidé si on se lance ou pas à l'assaut du sommet phare des aiguilles de Popolasca : la montée semble raide et bourrée d'aulnes, le temps commence à menacer. Le mieux pour se décider c'est un apéro, des brochettes au feu de bois et du pinard… et je sais pas pourquoi, mais on en a prévu pour un bataillon du 2ème REP.
Tout ceci consommé avec une certaine joie, et les 14 heures arrivant allegro, nous avons la bougeotte et décidons de voir là-bas si nous y étions sans savoir encore jusqu’où. La grimpette post-prandiale fut dure et assez entravée par nos précieux végétaux de l'étage cryo-oro-méditerranéen. Nous optons pour la gauche après la traversée du ruisseau. Notre itinéraire n'est pas génial de confort mais nous permet d'accéder plus près du Turone, au-dessus de Bocca Scaffa. Le retour sous le col direct dans les aulnes en RG de la rivière se révélera meilleur, mais si vous espérez suivre une belle ligne de cairns vous en serez quand même pour vos frais.

La grotte-bergerie de Scaffa depuis la crête au-dessus de Bocca a Scaffa

Nous voilà donc au pied de la face Ouest du pic. Je suis imperturbablement mon idée de le contourner par le sud sans me poser de questions. Ce qui me fait monter facilement à un col qui domine le vallon de Terrivola et passer au Sud du massif vers la ligne de crête débonnaire qui part du sommet. Nous dominons à présent le redoutable couloir de Chjassu à l’Est (souvenirs !) et nous n'avons plus qu'à zigzaguer au plus facile plein Nord sur des pentes herbeuses et rocheuses mais sans difficultés vers le sommet évident.

Le col au-dessus du vallon de Terrivola Nous dominons à présent le redoutable couloir de Chjassu surmonté par i Pinzi a Ghjuvelli

Tranquille ! 1h30 depuis les bergeries, le plus long étant l’ascension au col... Le temps s'est maintenu avec même quelques éclaircies et le panorama se passe de commentaire.

Depuis le sommet du Turone, Cima a i Mori et dent d'Ascu

Depuis le sommet du Turone, Punta Cavallare et Pinzi a i Giuell

En fait, une belle rando sportive sans être inaccessible consisterait tout simplement à monter de Castiglione par la voie normale, faire ce sommet facile mais spectaculaire et redescendre par Bradani si on est bien préparé et renseigné (en lisant cet article par exemple) et en s'amusant avec le manège des voitures.
Nous redescendons tranquilles, heureux de nos 1500 mètres de denivelé positif pour retourner dans notre vallée sauvage, accueillis par notre refuge stricto sensu bien sympa. On se régale du paysage au crépuscule après nous être bien « rebaffrés » de nos « brocho-merguo-chipolata » pour quinze, puis nous observons l'agilité digne de mouflons des chèvres ensauvagées sur les crêtes et passons une nuit sans se faire dévorer ; faut dire que j'ai épuisé la bombe insecticide qui restait, pensez à la remplacer au cas où.
L'itinéraire du retour ne posera pas plus de problèmes qu'à l'aller sauf peut-être sur la longue descente de la brèche vers la piste (je choisis néanmoins volontairement de bifurquer vers la rivière à la fin) et, au contraire, avant d'arriver à Porta à Paola, on a retrouvé le bon chemin qu'on avait raté au carrefour à l'aller (Cf. carte de l'itinéraire).

Dans la descente du vallon des bergeries de Bradani Dans la descente, après Bocca Chjusura

Bilan : Je suis surpris en fait par la relative facilité du parcours effectué, tant au niveau orientation jusqu'à Bradani - même si, avouons-le, Jipi is cool et que parfois des hésitations ont eu lieu sur des tronçons recouverts – qu'au niveau de l'accès au sommet du Turone. Je m’attendais à des passages en dalles... Bref que nenni, sauf si on veut faire du zèle. Évidemment, je ne parle que de l’accès sud, le reste c’est de l’escalade.  En tout cas, une belle découverte à conseiller, d'après quelques sources, début juillet si on aime les lys oranges.

Carte du massif de Popolasca avec le parcours du Turone par BradaniRappel de la carte de l'itinéraire d'Olivier sur la gauche de la page.