Aventures archéologiques : 4. Castellu di Chirginu Visconti (Sotta/Borivoli)
Par PhE le samedi 10 décembre 2011, 00:00 - Archéologie - Lien permanent
Quatrième volet des "Aventures archéologiques" avec une autre prospection initiée par Dumé (Dominique Martinetti) dans la région Est Cagne. L'idée était de finaliser une recherche, entreprise par lui-même il y a longtemps, entre la route menant au col de Bacinu et Bitalza, dans cette région appelée A Tia et hantée par la légende du Conti Pazzu, afin de retrouver un vieux castellu dont le toponyme est évoqué sur les vieilles cartes et dans quelques livres anciens d'archéologie.
Là encore, c'est un SMS avec simplement les coordonnées latitude/longitude de ce site qui m'a lancé sur la piste de ce castellu et ici aussi l'accès s'avérait encore plus compliqué que pour la recherche des sites précédents : il suffit de jeter un coup d'oeil à la carte IGN de la Tia, entre les bergeries de Bitalza et la fontaine de Niellone pour constater qu'aucune piste, aucun sentier, aucune trace n'y pénètre...
Préliminaires pour le Castellu di Chirginu Visconti :
Regardons un peu l'extrait du rouleau n°36 du Plan Terrier sur la gauche de cette page pour y découvrir le toponyme "Castello delli Cuponi" sous la mention d'un "Château Ruiné" à la source d'un ruisseau affluent du ruisseau de Pinarellu (Trovone Minuto sur le cadastre) indiqué sur IGN. Voici notre cible, recherchée depuis une vingtaine d'années par Dumé qui n'a pas eu le temps de terminer cette prospection.
L'extrait du Cadastre Napoléon Feuilles Sotta-Borivoli A2 et A3 sur la droite de la page n'indique pas le castellu en question, mais le cadastre mentionne le toponyme "Castellucciu" pour la région à la source du ruisseau du Trovone Minuto qui rejoint le ruisseau du Pinarello en aval. A noter que cet extrait cadastral illustre bien les problèmes auxquels on est confronté pour l'examiner : feuilles à échelle 1/4000ème avec axes Nord différemment positionnés, site de Chirginu Visconti à la limite de deux feuilles, feuilles cadastrales numérisées en "fichiers jpeg" lourds à manipuler, etc... C'est encore pire avec le Plan Terrier et ses "rouleaux" en images d'une centaine de Mégaoctets avec des dimensions allant jusqu'à 10000 x 5000 pixels. Autant dire qu'il est difficile de simplement ouvrir ces images quand on n'a pas la configuration matérielle et les logiciels qui vont bien !
Dernier détail communiqué par Dumé sur ce site : la carte d'état-major au 1/40000ème que l'on peut consulter sur Géoportail comporte un point rouge avec la mention "Château Ruiné" aux alentours immédiats de notre cible, confirmant les coordonnées repérées.
En ce qui concerne son accès, pour lequel de mon côté je ne vois aucune solution simple, les recherches préalables de Dumé lui ont heureusement permis de découvrir un sentier de captage vers la crête de Tia qui lui paraît le meilleur moyen d'approcher au plus près de notre objectif. L'ouverture d'une trace dans le maquis pour la partie finale semble évidemment nécessaire ensuite...
Exploration préalable du départ :
Comme pour les prospections précédentes, je profite d'une visite à Bitalza pour aller regarder de plus près le départ que Dumé m'a indiqué à la fontaine de Niellone sur la montée au col de Bacinu depuis Sotta. A l'W de la fontaine, la carte IGN ne précise qu'une sente en direction du SW partant du réservoir et un autre sentier (?) partant vers l'W puis bifurquant au N.
En fait, sur le terrain, seul la sente SW existe bien et la trace W est en fait actuellement remplacée par un réseau de plusieurs larges pistes récentes, ouvertes au bulldozer droit dans la pente, servant sans doute à l'exploitation forestière ou des travaux associés à la route D59 en-dessous. Au hasard, je démarre par l'exploration des pistes. En une demi-heure j'ai rapidement parcouru les diverses branches vers l'W et le N, toutes en impasse.
Je continue par la sente démarrant derrière le réservoir. Assez prometteuse au départ, elle s'arrête brutalement au bout de 300 ou 400m. Une vague trouée vers la gauche vite explorée se révèle aussi sans issue et je ne vois aucun signe d'un sentier de captage de ce côté.
Je me demande bien où Dumé a pu trouver son sentier et je repars assez désorienté de cette recherche préliminaire. Pourtant, la suite montrera que le sentier de captage pouvait être démarré par les deux voies que j'avais entamées, le réseau de pistes vers l'W et le sentier SW... Encore une bonne illustration de ce que l'on doit s'attendre à subir en Corse, même lorsque l'on sait qu'une voie de progression existe et qu'on connaît son point de départ !
Observez la carte indiquée en bas de page pour les itinéraires permettant d'accéder au castellu et vous verrez en bleu le tracé des trois pistes du réseau de Niellone et en rouge les deux branches possibles pour démarrer la sente de captage...
Montée au Castellu di Chirginu Visconti le 23/09/2011 :
Nous sommes obligés de modifier notre dispositif habituel qui consistait à accueillir Dumé chez nous avant de démarrer en voiture vers l'objet de la prospection car, cette fois-ci, le départ à pied se fait depuis la fontaine de Niellone qui est située entre Sorbollanu et Sainte-Lucie, nos domiciles respectifs. Nous nous retrouvons donc à la fontaine à 9h par une belle journée bien chaude le Vendredi 23 septembre : je suis bien curieux de découvrir ce mystérieux sentier de captage que je n'ai pas trouvé la semaine précédente.
Dumé ne semble pourtant pas assuré de retrouver ce sentier et se demande lui aussi s'il faut prendre par les pistes, qui n'existaient pas lors de ses anciens repérages, ou par la sente du réservoir. Il choisit le réseau des pistes et nous commençons à monter leur pente très raide en choisissant la branche de gauche (S) lorsqu'une alternative nous est offerte. On arrive ainsi à l'une des impasses que j'avais explorées la semaine dernière, mais, là où je n'avais rien vu, Dumé repère une trace ténue montant en zigzag dans un maquis élevé et fourni. Nous la suivons assez difficilement tant elle est sale et encombrée, mais nous arrivons assez rapidement au bout d'environ 600m à rejoindre une sente un peu meilleure longeant des chênes-lièges visiblement exploités puisqu'on aperçoit de nombreux morceaux d'écorce jonchant le sentier.
La pente devient encore plus raide et le sentier s'obstrue de branches horizontales qui nous obligent à un contournement par la droite avant d'atterrir sur un petit captage édifié près de la source d'un petit ruisseau. En fait, le vrai captage est bien plus haut et nous parvenons facilement à trouver dans le prolongement la suite de la trace qui devient cairnée et jalonnée de petits édifices pierreux (regards ?, trop-pleins ?, ...). Cette rude montée se termine soudainement à l'arrivée sur un plateau vers 700m où nous faisons une pause. Il est 10h et nous sommes en eau après cet effort en pleine chaleur...
La trace devient ensuite plus facile à parcourir, car plate et mieux ouverte. Nous cheminons ainsi jusqu'à 10h30 pour parvenir au gros regard du captage construit le long de la branche Nord du ruisseau de Pinarellu (ruisseau dénommé Riaccio sur le cadastre napoléonien). Nous perdons un peu de temps à trouver la trace suivante, pas évidente, qui part plein Nord au départ avant de revenir à l'Ouest. C'est là que nous tombons sur une zone de maquis obstruant complètement le sentier et qu'il nous faut trouer sur une trentaine de mètres. La trace, moins encombrée ensuite, redevient à nouveau très raide avant que nous arrivions à 11h30 à une sorte de col sur la crête au Nord de l'aiguille rocheuse 860m indiquée sur la carte IGN. Nouvelle pause avant l'épreuve finale...
Ici débute la partie de la recherche qui doit s'effectuer sans trace et où il faut trouver le meilleur parcours pour parvenir à un point localisé seulement par ses coordonnées GPS. Nous décidons de suivre la crête au départ en contournant d'abord l'aiguille 860m par la G, puis en suivant au plus près l'arête rocheuse qui en descend vers le Sud.
C'est un parcours de gros blocs assez faciles pendant un moment, puis nous préférons descendre à D (W) en bas de l'arête pour la longer dans le maquis afin d'éviter les montagnes russes qu'elle nous impose. Le maquis commence à poser des problèmes et les machettes entrent à nouveau dans la danse. Nous nous ouvrons une tranchée dans la pinède et les arbustes qui enserrent la paroi en profitant des quelques trouées qui existent tout en conservant le cap vers la cible à atteindre grâce aux GPS. Vers 12h30, nous avons l'impression que l'arête à notre gauche s'abaisse et présente un point faible que nous entrevoyons vaguement. Nous nous y dirigeons et sortons de la pinède vers 12h40 à une sorte de col bien marqué dans l'arête vers 780m d'altitude : sur l'autre versant (E), on aperçoit le départ du ravin de la branche W du Pinarellu (ou ruisseau de Trovone Minuto) et, sous la pointe rocheuse au Sud du col, nous distinguons une magnifique enceinte de blocs rocheux nous confirmant que nous avons trouvé notre castellu !
Pendant que Dumé procède au rélèvement des enceintes du castellu, je visite la partie au Nord du col en espérant y trouver des restes d'aménagement. Sans succès, même si on peut y voir une belle plate-forme naturelle, une petite clairière traversée par des sentes, peut-être pas seulement d'origine animale, et une belle vue sur le départ du ravin de Trovone Minuto...
Le castellu lui-même ne couvre qu'une petite surface au pied du versant Nord de la pointe rocheuse qui l'abrite, à la verticale d'une brèche entre les deux sommets de cette pointe bifide. Il est fermé au Nord par une belle enceinte orientée W-E et est doté d'une curieuse guérite à droite de son entrée. Cette guérite me rappelle, en moins monumental, la guérite du Castellu d'Araghju visité quelques années plus tôt. Mais ici, c'est une guérite assise alors qu'à Araghju on peut s'y tenir debout !
Puis, je me consacre à visiter la partie arrière du castellu et la pointe rocheuse au-dessus. La vue est superbe vers la crête de Tia et le col 780m en dessous de nous qui nous a servi de point d'arrivée ! Un petit circuit avec quelques pas d'escalade autour de la pointe me fait apercevoir quelques aménagements rocheux, complétant la construction principale du castellu... Les trois autres faces de la pointe, en dehors du versant N du castellu lui-même, sont suffisamment raides ou verticales pour avoir dispensé les habitants d'y construire d'autres fortifications.
Nous passons encore un long moment à visiter le castellu et les alentours et en profitons pour nous restaurer succinctement avant d'entamer les préparatifs de descente vers 13h45.
Le retour par le chemin de l'aller se déroule beaucoup plus rapidement du fait du parcours en descente et du démaquisage de l'aller. Col 840m à 14h10, captage à 14h30, fontaine de Niellone à 15h30. Peu de soucis si ce n'est que le sentier de captage de retour ne nous a pas fait retrouver la branche prise à l'aller depuis la piste de Niellone. Nous avons naturellement été emmenés vers l'Est, au lieu d'infléchir notre parcours vers le NE, et, à l'approche de la D59 dont nous entendions le bruit des véhicules, nous sommes arrivés à nouveau dans une partie obstruée par les branchages. C'est toujours énervant de devoir ressortir les outils si près du but, et ce n'est qu'après une quizaine de minutes de gesticulations de machettes pour démaquiser l'ancienne trace que nous avons aperçu à 10m à notre gauche une sente ouverte... qui n'était autre que la sente provenant du réservoir, tracée en parallèle à côté de l'ancien parcours du sentier de captage !! Et l'explication de l'échec de ma reconnaissance de cette sente la semaine précédente...
Conclusions et compléments :
Une nouvelle réussite encore plus éclatante pour nous deux que celle du Castellu Muratu, avec beaucoup de satisfactions dans cette aventure :
- Tentative réussie elle aussi au premier essai, en faisant abstraction des lointains repérages antérieurs de Dumé,
- Un parcours intéressant avec une partie pittoresque et paumatoire empruntant l'ancien sentier de captage de Niellone et une nouvelle trace dans la pinède maquisée de Tia, avec des efforts assez limités en face de la récompense de l'accès au col 780m,
- Découverte d'un site magique sur un emplacement spectaculaire avec une vue complète de la région Est-Cagne abritant un beau castellu, sans doute quasiment jamais visité, bien oublié et daté certainement lui aussi de l'Age de Bronze, avec enceintes, guérite, aménagements rocheux,...
- Et vingt ans d'attente récompensée pour Dumé, bien content d'avoir terminé cette recherche dont il ne voyait plus la fin.
Vous pouvez consulter à gauche la carte de la région de Cagne Est avec la crête de Tia et le tracé des parcours que nous avons suivis à la montée et à la descente vers ou depuis le Castellu Chirginu Visconti.
Enfin, ci-dessous, le diaporama avec les photos de cette recherche menée à bien :
Diaporama "Castellu di Chirginu Visconti"
Pour ceux qui veulent en savoir plus et qui s'intéressent à l'archéologie (corse !), il est incontournable de consulter le site Cuciurpula.fr, en particulier l'article Fortifications oubliées du sud de la Corse...
Commentaires
@François :
J'ai environ de 50 à 100 spams par jour sur ce Blog et, heureusement, la plupart sont filtrés avant d'apparaître. Ceux qui passent demandent 1°) une suppression effective à la main 2°) un examen particulier pour qu'ils soient pris en charge ultérieurement par les défenses anti-spam du Blog.
Bizarrement, ils apparaissent souvent sur la même page (article ou photo avec commentaire) : je suppose qu'une fois que le robot de spam a trouvé une adresse de page valide (cad un formulaire où il peut rentrer des saloperies !), on lui demande de revenir systématiquement à cette adresse dans ses errances ultérieures pour en fourguer d'autres... :evil:
Donc, il y a de fortes chances que tu vois apparaître d'autres spams sur cette page dans les prochaines jours...
Aïe, les spams ont encore contourné tes défenses! :alien:
@Forco :
Surtout que celui-là me semble de loin le plus compliqué à découvrir si l'on part sans infos...
J'imagine que pas grand monde ne connaît ce providentiel sentier de captage... Peu connu, non fréquenté (évidemment) et délicat à trouver même quand on sait qu'il existe !! :alien:
@PhE :
Je ne sais pas quand mais oui je compte bien aller le visiter lui aussi, d'autant qu'avec vos indications ça motive quand même un peu plus que de partir sans infos, avec un échec quasi assuré.
Effectivement, la version du cadastre mise en ligne par le Conseil Général de Haute Corse est très réussie :
Pas mal et effectivement assez pratique par rapport aux fichiers que j'ai stockés qui donnent le même fonds numérisé mais où il est plus difficile de retrouver les communes, les feuilles , les parcelles et où il faut disposer derrière d'un logiciel qui affiche l'image et donne les fonctions précédentes (zoom, déplacement, rotation, etc...).
Par contre, a priori, pas de possibilité de téléchargement et donc de traitement et retouche de l'image sur son ordinateur...
@Forco :
Merci de cette info ! Je vais essayer d'utiliser cette version du cadastre...
Quand est-ce que vous allez visiter Chirginu Visconti :-?
Encore une belle aventure, merci pour le récit.
Si vous avez des difficultés à manipuler votre dossier du cadastre napoléonien, il est en ligne depuis peu sur le site du Conseil général de Haute-Corse : http://www.cg2b.fr/cg2b/cgi-bin/pag...
Il y est très pratique.