Le tour de la Paglia Orba (Olivier HESPEL)
Par PhE le samedi 24 août 2013, 16:09 - Ravinisme - Lien permanent
Encore une nouvelle contribution d'Olivier Hespel qui nous présente cette fois-ci un parcours bien connu, mais de grande ampleur, le "Tour de la Paglia Orba", course classique décrite par Fabrikant dès les années 70 (1970 !) qui la présentait sobrement comme une superbe randonnée accessible aux randonneurs ayant une certaine expérience de la montagne. Personnellement, je l'avais introduite de manière moins sobre dans le topo de "Corse sauvage" qui la concerne et où elle est classée en Ravinisme : Le tour de la Paglia Orba, la plus belle montagne de Corse (?), trouvé dans le Guide des montagnes corses de Michel Fabrikant, est un excellent moyen d'aller visiter les trois belles faces, Ouest, Nord et Est, que l'on ne fait que voir de loin, alors que la face Sud moins intéressante est toute proche du refuge de Ciottulu di I Mori ! Itinéraire splendide, mais compliqué et assez éloigné de la randonnée traditionnelle pour cause de passages d'escalade et de difficultés d'orientation...
C'est effectivement une randonnée très complète, avec des petits passages d'escalade qui ne sont pas à la portée du randonneur lambda, une recherche d'itinéraire compliquée et demandant un bon sens de l'orientation, un niveau de difficultés constant pour louvoyer entre blocs, couloirs, vires, escaliers, brèches, pitons, etc... et un engagement important durant tout le parcours des faces Nord et Nord-Ouest où la descente par le bas vers le Falasorma dépasse le niveau de la randonnée. Mais c'est aussi une suite de spectaculaires points de vue que n'offre pas la face Sud que l'on voit habituellement du refuge de Ciottulu di I Mori. Faces Nord et Est de la Paglia Orba sont effectivement de toute beauté et méritent d'être parcourues pour les immortaliser par des photos...
Les randonneurs qui s'y risquent ne doivent pas être si nombreux que cela puisque les deux réalisations que j'en ai faites ne m'ont pas permis d'y voir quelqu'un, sauf, comme Olivier, à pouvoir contempler de loin les grimpeurs qui sont les seuls à aller voir de près ces incroyables parois Nord !
Bravo donc à Olivier d'avoir repris ce beau raid et de nous l'illustrer avec des photos nettement meilleures que celles que j'avais pu prendre dans les année 80...
Vous pouvez consulter la carte sur la gauche de la page pour visualiser le tracé d'Olivier et de son équipe durant cette boucle complexe.
Départ, refuge de Ciottulu, ce qui nous fait gagner une bonne heure et demie par rapport au « Fer à cheval ». Temps moyen, mais devant s'améliorer avant des risques d'orages l'après-midi de ce mois d’août 2012. Avec les trois dames (filles, ce que vous voulez, entre les deux) qui m'accompagnent, nous fonçons sur la montée qui mène directement au col des Maures par le tracé propre et sinueux qui serpente au milieu du pierrier rouge de rhyolite. Vingt minutes plus tard, nous voilà au pied du mur qui nous sépare du Falasorma, pendant Nord du massif de la Paglia. La randonnée démarre véritablement.
Recherche bon passage avec des vrais et des faux amis (cairns, ouvertures…) au milieu des blocs et après quelques petits plantages, j'opte pour celui qui me semble le moins mauvais à la descente, car, très vite, alors que l'adret d'où l'on vient n'est pas particulièrement accueillant, le côté opposé devient carrément hostile. Le mur sur lequel nous nous trouvons est plus raide, plus haut, plus tortueux, les pentes qui suivent totalement minérales et ombragées et la vallée de Laoscella qui s'enfonce brutalement dans ce ravin de l'enfer est entourée de murailles apocalyptiques. On voit très bien le Saltare en contre-bas avec sa forêt qui nous rassure comme un horizon salvateur qui nous libérerait de cet antre lunaire. Enfin, psychologiquement, car son accès réel n'a rien d'une invitation...
Nous voilà rendus sur le sol, objectif descendre légèrement en oblique vers la droite mais ne pas longer le mur pour s'engouffrer dans des barres impossibles réservées à l'escalade, très prisée dans le coin comme nous allons le constater. Des cairns nous invitent à contourner la bête (la Paglia) par sa gauche en descendant par des dalles et corniches, fissures et dièdres jusqu'au premier objectif, la crête Nord et son col, évident a priori. De rares végétaux (fougères persils notamment...) tranchent avec le minéral rouge mauve persillé de lichens. Sur la muraille imposante, marquée par des couleurs bleues-vertes de roches et des inclusions spectaculaires de filons d'orgues rhyolitiques, on aperçoit quelques mouflons à distance respectable.
La descente du terrain nous rapproche de la paroi et du rempart de la crête à franchir. Pour ce faire, nous partons sur sa gauche et, dans une vire qui repart à droite, nous gagnons en altitude, dominons notre parcours par un passage impressionnant et arrivons sur le col à droite d’un piton gigantesque qui domine le ravin du Laoscella de manière vertigineuse. Ce piton semble d'ailleurs praticable de l'autre côté pour les amateurs de gaz d'un autre monde. Le ravin qui suit semble plus débonnaire. Il est constitué d'un amas de gros blocs issus de la dégringolade de larges pans de la bête. Sa face Nord semble absolument infranchissable tant elle semble verticale et lisse.
Et bah que nenni, mes amis, que voyons nous si ce n'est une cordée dans une fissure au milieu de la paroi à au moins 200m plus haut que notre altitude ?
On traverse le grand pierrier en courbe de niveau avec pour prochain objectif la « Brèche des Géologues » qui se situe en haut d'un grand couloir en dalle qui nous fait face. Le cairnage est encore à peine présent pour disparaître à mi-hauteur de l'escalade de la paroi. Le relief change et plusieurs couloirs semblent diverger sans aucune indication après la première partie d'adhérence. Quelques galères après, je prends le parti de monter au plus près de la paroi de droite (celle de la Paglia dans sa partie verticale) jusqu'à déboucher vers une brèche bizarre en coude ; et toujours pas de cairns.
Je suis cependant sur le fil de la crête et visite un peu le côté opposé d'abord par la gauche. Ouaouh, un gaz monstrueux. Monte sur quelques blocs sommitaux, belle vue sur le Niolu mais de passage, niet. Je ne comprends pas ce machin. Je hèle malgré tout mon équipe qui a pris pas mal de retard avec ces errements car je ne vois pas où cela pourrait passer ailleurs qu'ici.
Puis, je contourne le col à droite et je vois un couloir qui s'enfonce, complètement collé à la paroi principale en angle droit. Celui-ci passe sous des ponts et semble continuer. Eureka, 20m plus bas, une série de cairns nous tend les bras.
En colère contre les intégristes de la randonnée qui virent les cairns (persuadé qu’il y en eut) comme si la montagne leur était réservée, je m'empresse d'un mettre un (que j'espère pérenne) à l'endroit stratégique du col. Puis, nous descendons. C'est peut-être ici le moment le plus pénible pour celles et ceux qui ne sont pas à l'aise sur les descentes compliquées...
La face orientale est beaucoup plus dégagée et moins austère avec le massif du Cintu en face, le petit lac en bas et la grande vallée qui le contient. Cependant, elle reste très minérale et la pente à l'endroit où nous sommes est raide. Par des passages de ressauts, des fissures, des dalles désagréable, la descente est délicate jusqu'à arriver 150m plus bas par un escalier d'orgues que l'on traverse à un moment pour filer vers la « Brèche du Sphinx » à droite toute. Par quelques méandres, nous slalomons dans de la caillasse stable (difficile de décrire l’itinéraire mais il existe une trace cairnée très dégagée), et atteignons la base de la brèche. Certains auront opté pour des raccourcis plus hauts. Tout doit être plus ou moins possible sur ce flanc large de la bête. La montée raide et assez spectaculaire se fait difficilement sans l'aide des mains et, par des zigzags en adhérence, on atteint la brèche. La vallée de la Paglia Orba est vraiment de toute beauté. Cap au Sud.
Ici, il existe un raccourci par une espèce de passage en tunnel (?) qui atteindrait directement l’épaule de Foggiale (notre ami Philippe l’a fait et pourra éventuellement vous le décrire). Ne le connaissant pas et un peu pressé par le temps (on n'a pas fait fort, il est plus de 15 heures, heureusement les orages n'ont pas eu lieu), on choisit l'évidence par la descente sur une pente malaisée pour filer bien plus bas sur la droite dans un vallon un peu plus vert qui remonte à l'ouest... En suivant la trace cairnée sur 150m de dénivelé, je choisis de franchir le passage à gauche qui nous place à l’aplomb du GR20 qui conduit à Bocca di Foggiale. Je coupe en courbe de niveau le flanc par le sud sous la barre de la crête que nous venons de traverser pour remonter un dernier raidillon qui nous place sur la même ligne que le col mais 100m au-dessus. En courbe de niveau, on rejoint le GR jusqu’à Ciottulu et le « tour est joué ».
Bilan : c’est toujours pareil, hormis les différences de capacités physiques individuelles, on mesure facilement le temps qui aurait été gagné si on avait reconnu préalablement le terrain qui, avec le recul, ne me paraît somme toute pas si compliqué. En tout cas, ce parcours reste un grand classique qui crée quelques appréhensions et, pour l’avoir accompli, je peux comprendre. C’est d’une part impressionnant de beauté et de sauvagerie (on est presque sur la lune, question ambiance), et d’autre part merveilleux. De quoi alimenter une légende. Mais déjà la Paglia Orba en elle-même est mythique.
A faire et à refaire (en sens inverse bien sûr en trouvant le passage de l’épaule de Foggiale) !
Rappel de la carte de l'itinéraire d'Olivier sur la gauche de la page.
Commentaires
Complément 2 :
Je suis remonté à cette Brèche N de la Paglia Orba en 1992, mais, à part une photo rapide de la Brèche et du Col des Maures, je n'ai pas regardé grand chose car j'étais "légèrement" stressé par l'idée qu'il me fallait redescendre le cirque de Tondu par la voie de montée que j'avais improvisée à droite de la "fissure de Tondu" (remplie par une cascade aquatique empêchant son ascension).
La photo de la Brèche dans le commentaire précédent est celle qui a été prise à la fin de cette ascension. La descente m'avait paru tout à fait "suicidaire"... :-(
Avec un peu de retard, quelques commentaires personnels avec des compléments sur cette course que je connais assez bien pour l'avoir faite deux fois (avant 1987, les souvenirs sont donc un peu flous) et re-tentée sans résultat deux autres fois (en 08/2001 avec mon fils, bivouac à Ciottulu et vent/brume le lendemain matin, en 06/2010 avec les Webtrekkers, face N du col des Maures envahie par un énorme névé).