Premier ravin dans le Haut Cavu : Vangone di Lariciu
Par PhE le lundi 01 novembre 2010, 16:13 - Ravinisme - Lien permanent
Le Haut Cavu est une région complètement délaissée par les guides, topo-guides, livres de montagne, etc... en ce qui concerne les parcours et les activités en montagne. La description de cette région méconnue a déjà été abordée dans les deux articles du Blog qui lui ont été consacrés en décembre 2009 : La Haute Vallée du Cavu (1ère partie) et La Haute Vallée du Cavu (2ème partie) !
Dans les articles précédents, des premiers exemples de parcours de randonnée "simple" (?) ont été indiqués, comme la montée à Paliri par les ruisseaux de Mela/Peralzone, la remontée des ruisseaux de Mela/Carciara, la balade aquatique du ruisseau de Sainte-Lucie, ...
Cette fois-ci, c'est le ravinisme local qui va être abordé avec le premier ravin diabolique réalisé dans ce coin, le Vangone di Lariciu, un ravin montant à Bocca di Lariciu sous la Punta di Bonifacio...
Vangone di Lariciu (sans nom sur IGN) :
Comment ne pas être impressionné par la magnifique Punta di Bonifacio lorsque l'on se balade dans les vallées du Haut Cavu ? Cette pointe photogénique se détache en avant de la crête reliant Punta di Ferru à Punta Velacu (crête des Terrasses) et surplombe les ruisseaux de Sainte-Lucie/Finicione et de Mela/Carciara comme l'emblème du Haut Cavu symbolisant la sauvagerie et la solitude de ce massif... Magnifique site d'escalade dont même la voie normale s'avère de haute difficulté, cette pointe ne reçoit que quelques visites annuelles de grimpeurs non découragés par la marche d'approche mais est complètement dédaignée par les randonneurs peu enclins à franchir maquis et pas d'escalade pour aller la voir de près ! Aussi, n'est-il pas étonnant que l'on ait envie de l'approcher depuis ce massif annexe de Bavella/Uspidale où l'on ne manque pas de la contempler en permanence quel que soit l'itinéraire que l'on réalise... C'est ainsi que je me suis résolu à tenter la montée à l'accès normal de cette pointe, le col W appelé Bocca di Lariciu, non pas par l'approche normale depuis Bavella (Bocca di Fumicosa, Bocca Buvone, contournement Sud de Punta Buvone) mais par le ravin qui y arrive directement du Sud en provenance du ruisseau de Sainte-Lucie !
Reconnaissance du 14/06/2010 :
Sans nom sur la carte IGN, sans aucune information glanée dans les guides corses ou à Sainte-Lucie de Porto-Vecchio, ce ravin n'avait que son tracé sur la carte pour me guider. Rien dans ce tracé ne semblait montrer un obstacle important, mais ce simple examen est souvent illusoire, en Corse plus qu'ailleurs, et il semblait préférable d'aller y jeter un oeil lors d'une reconnaissance préalable afin de mesurer la viabilité de cet itinéraire !
Cela fut l'affaire d'un lendemain de balade littorale où je pus me lever quand même suffisamment tôt pour atteindre en voiture mon parking habituel presque au bout de la piste en RG du ruisseau de Sainte-Lucie à la hauteur de la confluence avec le ruisseau de Mela. Départ tranquille vers 09h40 pour atteindre la fin carrossable de cette piste, traverser le Mela par le pont détruit et prendre la suite du sentier de Sainte-Lucie pour arriver au pont IGN300 vers 10h30. Le ravin démarre environ 150 m en amont du pont par un large lit rocheux en deux branches qui se dirige vers le NE, juste face à la pointe qui se détache superbement au-dessus.
Il me fallut un peu moins d'une heure pour parcourir cette partie du ravin, peu pentue, très ouverte et encombrée d'un chaos de blocs ne facilitant pas la marche et ne montrant pas d'eau, avant d'atteindre une partie un peu plus raide et surtout plus en phase avec l'aspect habituel des ravins corses : dalles rocheuses, eau cristalline, ruisselets, vasques, cascades,... En approchant du soubassement de la Punta di Bonifacio, la pointe rocheuse 936m, j'arrivai vers midi au premier obstacle du ravin : une sorte de confluence vers 570m avec la branche de droite menant exactement sous l'arête Sud de la Punta et la branche de gauche constituant la suite du ravin principal, barrée par un ressaut rocheux à 45°(point IGN571).
L'escalade de ce ressaut demande un peu d'attention et nécessite un rocher sec, mais, ensuite, une vingtaine de minutes de grimpette assez raide dans des dalles rocheuses m'amena à une belle cascade d'une quarantaine de mètres de hauteur, sculptée dans un beau rocher rouge sombre patiné en noir sur la partie touchée par le ruissellement : la Cascade Noire. Altitude 680m, atteinte à 12h20 !
La suite ne paraissait pas évidente, le contournement de la cascade pouvant se faire d'un côté ou de l'autre, mais non sans peine... En outre, le beau temps de la matinée faisait place à l'arrivée d'un voile nuageux qui descendait sous la crête Punta Buvone-Punta di Bonifacio. Aussi décidai-je d'en rester là pour ce jour et d'amorcer la descente de retour. Vite revenu vers 12h45 à la confluence rocheuse, désescaladée sans problème, j'en profitai pour faire une pause-déjeuner d'une trentaine de minutes en face de la Punta di Bonifacio dont le sommet flirtait avec les nuages. Le reste de la descente s'exécuta sans rien de notable avec un retour au pont IGN300 à 14h25. Une reconnaissance trop courte qui avait bien mis en valeur ce que je redoutais : des obstacles techniques (le ressaut de la confluence, la Cascade Noire, ...) non perçus sur la carte et encore 500m à gravir !
Parcours complet le 12/09/2010 :
Ce n'est finalement que trois mois plus tard environ que je pus trouver un créneau pour terminer en solo ce ravin ! Les diverses activités de fin juin, une allergie en juillet, d'autres randonnées en août, ne me permirent pas de retourner de sitôt dans le Haut Cavu et ce n'est que le 12 septembre 2010 que je parvins à faire une tentative de montée à Bocca di Lariciu...
Cette fois-ci, c'est à 08h45 que je démarrai au parking habituel : une marche rapide me fit arriver à 09h20 au pont IGN300 et aborder le ravin à 09h30. Temps splendide sur la région ! Dés le départ de la partie déjà parcourue, une surprise de taille... Au premier léger virage à gauche que fait le ravin en montant, vers 350m d'altitude, un bruit d'éboulis me fit tourner la tête vers la droite et le versant RG du torrent : une petite troupe de cinq ou six mouflons, mâles et femelles, s'ébattait dans ce versant, malheureusement juste dans le soleil plein Est avec des difficultés pour les apercevoir et l'impossibilité de prendre des photos les montrant (plusieurs essais infructueux ne donnant qu'un contre-jour éblouissant). Incroyable de voir des mouflons dans ce coin, si bas et à moins de 400m du pont IGN300 où la civilisation se termine !
Même avec cet intermède, la remontée jusqu'à la Confluence 571m prit moins de temps qu'à la reconnaissance et c'est à 10h30 qu'elle fut atteinte (20/25 mn de moins). Beaucoup moins d'eau dans la cascade permettant une escalade encore plus aisée, la remontée d'une série de ressauts ruisselants au-dessus, et voila de nouveau la Cascade Noire, elle aussi bien plus sèche qu'en juin dernier, à 10h50...
Rien d'évident pour choisir la manière de contourner la cascade et c'est au hasard (et au plus court) que j'entrepris de prendre en RG en évitant autant que possible le maquis et les ronces en bas par l'escalade d'un vague éperon rocheux branlant. Celui-ci me permit de monter une vingtaine de mètres et d'atteindre de magnifiques dalles moutonnées en haut et à droite de la cascade. Le franchissement de ces dalles, peu évident vu d'en bas, s'avéra plus simple que prévu, grâce à des marches ou prises bien placées en regard des obstacles rocheux délicats. Problème réglé en 10mn (11h00), mais mémorisation conseillée pour la descente !
Au-dessus de la cascade, une partie peu raide mais encombrée d'énormes blocs dans laquelle je trouvai des gros morceaux métalliques, tiges et plaques, dont j'apprendrai plus tard d'un habitant de Taddu Rossu qu'ils sont les restes du crash d'un avion de guerre dans ce ravin (histoire à confirmer ?). Elle emmène en dix minutes à une sorte de Boyau Rocheux, profond et étroit, dont le franchissement s'annonce corsé. Cette fois-ci, pas trop de choix, car seule la RD s'avère praticable sans remonter dans le maquis et le fond du ravin est trop étroit et entrecoupé de ressauts dont le dernier surmonte un énorme bloc coincé. Le cheminement en RD n'est pas d'une grande difficulté mais demande une concentration permanente pour trouver la bonne altitude du passage et éviter un faux pas avec une chute à la clé d'au moins une dizaine de mètres dans le fond du boyau... En outre, la raideur de la pente et la nécessité de nombreux petits pas d'escalade en adhérence achèvent de stresser le parcours et oblige à une attention constante. Le bloc coincé fut ainsi contourné par la gauche avec un retour à une partie plus facile et moins raide marquée par l'arrivée à une confluence de deux ruisseaux vers 870m, juste sous la proue Sud de la Punta di Bonifacio à 11h35.
La suite du parcours consista à prendre le ruisseau de gauche pour accèder au grand cirque semi-circulaire encadré par la crête Punta Buvone - Punta di Bonifacio qui couronne l'arrivée de ce ravin. L'environnement devient beaucoup moins minéral et le maquis refait son apparition, notamment les ronces qui entravent fortement la remontée du ruisseau, même si on arrive toujours à trouver un cheminement les évitant plus ou moins. Dans ce décor végétal, plusieurs voies sont possibles et mes chemins de montée et de descente furent assez largement différents. Pour monter, je restai longtemps dans le lit du ruisseau jusqu'à ce que les ronces deviennent infréquentables et obliquai ensuite à droite vers la formidable face W de Punta di Bonifacio. Plusieurs ruisseaux peu formés dégringolent de la crête au-dessus : le plus proche de la paroi rocheuse emmène à Bocca di Lariciu, le col W accolé contre Punta di Bonifacio que j'atteignis à 12h25.
Ce col est le point de départ pour aller escalader la voie normale D+ de l'arête N de la pointe ou, en descendant le long de la paroi, les trois voies TD et ED de la face W. On y est entièrement dominé par les contreforts de l'arête N et la vue est superbe avec vers le Sud le cirque final gravi au sommet du ravin et au Nord la crête des Terrasses avec Punta Velacu, le Promontoire et Calanca Murata surplombant le ravin de Frassicia. En montant au-dessus du col vers le Nord, on accède aussi à des vues saisissantes vers la suite de la crête jusqu'à Punta Tafunata di Paliri.
Avec cette belle météo et les spectaculaires paysages de cette partie du massif, je pris pas mal de temps pour explorer un peu les alentours du col, prendre des photos et déjeuner et c'est seulement vers 13h20 que j'entamai la descente du retour. Pas de difficultés particulières pour franchir en sens inverse les trois obstacles du ravin : Boyau Rocheux à 14h30, Cascade Noire à 15h, Confluence 571m à 15h25... Néanmoins, avec la fatigue accumulée d'une montée rapide, beaucoup d'attention et beaucoup de temps à les passer en toute sécurité ! Ce n'est donc qu'à 16h25 que j'arrivais au pont IGN300 et 17h15 le retour au parking...
En final, bizarrement, plus de temps consacré à la descente qu'à la montée : 3h40 de montée (de 08h45 à 12h25) contre 3h55 de descente (de 13h20 à 17h15) !
En conclusion : un itinéraire magnifique permettant de visiter une partie du massif de Bavella complètement désertée, via un accès original depuis les hautes vallées du Cavu. La crête Punta Buvone - Punta di Bonifacio est de toute beauté et permet de contempler tout le versant Sud de la crête des Terrasses jusqu'à Paliri. A cheval entre les ravins de Frassicia et du Haut Cavu, Bocca di Lariciu est un lieu de solitude assez incroyable et ne doit pas souvent être visité.
Le ravin qui y mène, baptisé personnellement "Vangone di Lariciu", est un itinéraire de première classe, même s'il n'atteint pas le niveau des Pulischellu et Purcaraccia, ses congénères de Bavella ! 900m de dénivelé pour ce ravin bien rectiligne, très ouvert car peu profond et peu encombré de végétation, sans problèmes d'itinéraire et avec seulement trois difficultés bien marquées et assez esthétiques, la Confluence 571m, la Cascade Noire et le Boyau Rocheux... S'il ne semble pas très délicat à parcourir, il convient tout de même de s'y montrer précautionneux car certains passages sont exposés : il est judicieux d'emporter une corde d'assurance pour se tirer d'un mauvais pas ou aider un participant peu à son aise dans les pas d'escalade. Le paysage de la montée de ce ravin est grandiose car tout entier surplombé par cette pointe magique de Bonifacio et la sauvagerie de ces lieux est encore renforcée par le mystère de ce crash d'avion de guerre dont les restes peuvent encore être retrouvés dans le canyon...
Compter de 4 à 5 heures pour la seule montée depuis la fin de la piste carrossable sur la RG du ruisseau de Sainte-Lucie (et Mela) et presque autant pour la descente de retour. A moins que vous ne préfériez poursuivre par Bocca di Fumicosa et Bavella : dans ce cas, repérer une brèche dans l'arête Sud descendant de Punta Buvone avec un couloir raide y menant (bien visible depuis Bocca di Lariciu) et une aiguille à sa gauche (S). Passer cette brèche après avoir fait le tour du cirque supérieur et continuer à droite en montant légérement pour atteindre un autre col (Bocca Buvone - 1345m). De là, deux possibilités : 1°) Descendre vers le NE le couloir le plus à gauche permettant d'atteindre le ravin de Frassicia er remonter ensuite à gauche à Bocca di Fumicosa, 2°) Contourner Punta di Ferru par le S en traversant à flanc le versant E en montant légèrement pour atteindre un col vers 1410m sur l'arête de partage. Traverser l'arête et descendre un couloir boisé de l'autre côté, puis traverser horizontalement au N pour retrouver Bocca di Fumicosa. Terrain compliqué...
Ci-dessous, le diaporama complet des photos de ce ravin :
Commentaires
Autres compléments liés aux infos du Plan Terrier et du Cadastre Napoléonien :
J'ai retrouvé des photos de Punta di Bonifacio et de ses environs avec une prise de vue montrant bien le "Vangone di Lariciu" de face et l'emplacement de Bocca di Lariciu, juste accolé à l'W de la pointe : ces photos ont été prises depuis la crête de Quarcitellu, un peu à l'W des bergeries de Luviu.
@François :
Ce coin n'est pas vraiment inaccessible ou impraticable, mais, vu son éloignement et sa position très Sud du massif, certainement l'un des coins les moins accédés et les moins pratiqués de Bavella... ;-)
Je pense que l'accès depuis Bocca di Fumicosa n'est pas très difficile hormis l'orientation et la longueur (j'en ai déjà fait la moitié dans le Giru di Punta di Ferru) et n'a rien à voir avec l'inaccessibilité plutôt illustrée par les parties hautes des grands ravins du massif comme le Poliscellu ou le Purcaraccia !
Enfin, y accéder par le Haut Cavu doit être extrêmement rare, et, en dehors des restes métalliques de ce qui pourrait être cet avion de guerre tombé dans le ravin, je n'ai pas vu une seule trace sur ce parcours ;:-(
Eh bien, chapeau, Philippe, de t'être lancé dans l'exploration d'un coin réputé inaccessible ou impraticable. Bien sûr, les langues chagrines diront que tout ça, en solo, n'est pas d'une extrême prudence, mais au moins tu fais progresser la géographie dans ce coin paumé de la Corse!