EmoticonesComment avais-je eu l’idée de randonner dans ce coin un peu excentré ? A l’automne précédent, j’avais emmené un ami qui brûlait de connaître le GR 20, et, pour nous tester l’un et l’autre, j’avais décidé que nous ferions la partie sud, de Conca à Vizzavona, ce qui évite, comme le note judicieusement un guide, d’avoir le soleil dans les yeux ; en fait de soleil, c’était plutôt mal parti, nous avions essuyé un gros orage à Bavella, et recueilli dans notre groupe deux Belges qui ressemblaient à des chiens mouillés ; vu le temps, je nous voyais mal faire d’une traite Asinao-Usciolu et j’avais donc choisi de partager l’étape avec une nuit à Bassetta. Le lendemain, miracle, le soleil brillait, et à la fin de la superbe montée vers la bocca de l’Agnone, nous débouchions sur un fantastique parterre de cèpes… Le moral était revenu !
Bocca di l'AgnoneA la bocca, j’eus une furieuse envie de suivre le sentier qui longeait de façon prometteuse la rive droite du ruisseau naissant ici : un coup d’œil sur la carte m’annonçait une sympathique descente le long d’un cours d’eau pas trop encaissé, sur un chemin qui paraissait fort bien tracé, mais, évidemment, c’était incompatible avec le GR 20. Dans ces cas-là, on revient l’année d’après.

Vallée de l'Arinella jusqu'aux crêtes de l'UscioluMon programme était donc de reconnaître cette remontée du Travu, qui devient Arinella un peu plus en amont, et enfin ruisseau de l’Agnone. Je rêvais d’une étape Chisa-Bassetta, qui m’aurait permis dans la foulée une petite exploration du Cuscione. Mais, en Corse plus qu’ailleurs, la carte et le terrain ne font pas toujours bon ménage…
En fait, c’est plutôt de la base de Solenzara que j’ai effectué ma boucle. Débarqué de Bastia le matin, déposé par le car à Travu, je m’étais donné l’après-midi pour monter à Chisa ; je n’en eus pas besoin, une sympathique camionnette ayant eu pitié du sexagénaire au gros sac sur l’asphalte brûlant de l’heure de midi…Me voilà donc l’après-midi sur le sentier tant convoité.
Passerelle de l'ArinellaAu début, tout alla bien : le sentier porté sur la carte existait, la bergerie de Purcaricciola aussi. Je décide d’aller me rafraîchir dans l’Arinella ; la rivière est facilement accessible par une sente qui y descend doucement, j’arrive à une passerelle (non portée sur la carte), traverse et là, première déception, constate que le sentier de la rive droite n’existe plus : cette passerelle débouchait sur un mur de maquis. Ne connaissant pas à l'époque le site Corse Sauvage et ses utiles conseils pour progresser dans ce genre de végétation, je fais demi-tour, non sans une petite, mais délicieuse trempette ; je remonte en rive gauche pour retrouver le sentier principal qui chemine plus haut, et entreprends son parcours vers l’ouest ; mais ça devenait de plus en plus serré, jusqu’à ce que le sentier, dont les ouvrages de soutènement sont encore visibles par endroits, disparaisse complètement, aux environs du ruisseau de Sapara. Pour la deuxième fois, je fais demi-tour et décide de me reposer d’une traversée et d’une journée fatigante par une bonne nuit à Chisa. La route directe de l’ouest est impraticable !

Le sentier de l'Arinella aux alentours du ruisseau de Sapara  Le lit de l'Arinella aux alentours du ruisseau de Sapara

Passage avec chaîne sur le sentier de la LuvanaLe lendemain, je tente la montée en direction de l’Incudine par l’itinéraire 237 du guide Didier-Richard (DR) de 2000. Je n’en recopierai pas la description, concise et suffisamment précise, et, sur la carte Top 25, le sentier est bien tracé… jusqu’au franchissement de la Luvana, lieu idéal pour baignade et pique-nique ; après, le sentier est un peu plus incertain, il faut obliquer à droite (nord) pour monter, et surtout être bien vigilant à suivre les cairns.

Bocca di Broncu avec vue vers Chisa

Une fois franchie la bocca di Broncu (le col du Cerf), on se trouve sur une crête débonnaire, où il est facile de trouver le sentier qui conduit à la bergerie de Carpicciola ; bonne surprise, la bergerie, en principe ruinée sur IGN, avait été remise en état; autre bonne surprise, elle était ouverte, et, comme le ciel devenait menaçant, je renonçai à tester l’étanchéité de ma tente et décidai d’y passer la nuit, choix judicieux, car elle fut d’une merveilleuse tranquillité.
Mon idée de manœuvre devenait de parcourir un petit bout de GR 20 vers le nord, un autre de mare à mare centre vers l’est et de revenir à Chisa par la bocca di Juva. Rejoindre le « grand chemin » de là ou j’étais paraissait d’une simplicité désarmant, le sentier qui longeait Carpicciola étant censé sur la carte y conduire après un petit zig-zag et la traversée du ruisseau de Casamintellu aux environs de 1380 m ; hélas, ce tracé était du temps jadis, et in fine, il me fallut descendre le ru dévalant de la bergerie, et progresser à vue dans le nord-ouest : fort heureusement, le GR 20 se repère de loin grâce à la densité des marcheurs : moi qui n’avais pas rencontré âme qui vive depuis Chisa, j’eus droit à un Babel de salutations : buon giorno, guten Tag, hello, ola…. Je voulais aussi reconnaître un accès au Tignoso, non pas pour y faire du canyoning, mais comme sentier de pénétration vers la vallée de l’Arinella : en effet, la littérature des canyoneurs indique qu’une fois effectuée la descente du Tignoso, sauvagissime et hypersportive, il est possible de remonter par le sentier très évident sur IGN qui « longe » le torrent en rive gauche ; mais une fois de plus, la carte était trop optimiste, et je dus rebrousser chemin au bout d’un kilomètre : ami randonneur, tu n’imagines pas le nombre d’aller-retours que nécessite l’élaboration d’un circuit sauvage et praticable.
Bocca di l'AgnoneLes sentiers heureux n’ont pas d’histoire : cette partie du Coscione est agréable et reposante, avec ses sentes moussues, ses innombrables ruisselets et ses côtes alanguies. A la bocca de l’Agnone même tentative et même échec qu’auparavant pour tenter de trouver le passage vers l’Est ; et puis, je commençais à manquer un peu de temps. Saluant au passage quelques forestiers occupés à nettoyer les alentours du chemin, j’entrepris la montée vers la crête et le refuge d’Usciolu.
Refuge d'Usciolu en 2006Le gardien des lieux a retapé la petite annexe en pierre située à 50 m de la bâtisse principale, qu’il a transformée en caverne d’Ali-Baba de randonneur, où ruissellent des cascades de barres céréales, de fromages corses, de couteaux Opinel, de compeeds, de fruits frais, de pain etc.., etc , le tout bien sûr à un prix GR 20, mais il faut aussi monter tout ça là-haut ! Elle est loin l’austérité d’antan, mais si cela permet aux randonneurs de ne pas être transformés en mulets, et aux gardiens d’arrondir leurs fins de mois, pourquoi pas ?
Nous ne sommes pas en pleine saison, et pourtant le refuge et ses abords sont noirs de monde et multicolores de bivouacs variés ; j’ai ma petite monoplace, il fait beau, et je décide donc de quitter l’autoroute pour un petit chemin de campagne, à savoir le sentier qui, après 500 mètres de GR, file en crête vers l’est : à la bocca di Bianca, je me trouve une petite plate-forme dominant le vallon de l’Arinella pour y dresser le bivouac : comme prévu, je passe une soirée et une nuit de Robinson.

Bocca di Bianca  Bergeries de Bianca en haut de la vallée de l'Abatescu

Le lendemain, il me faut corser un peu le retour vers Chisa ; le vallon de l’Abatesco naissant me paraît prometteur, et j’entreprends la descente vers le gîte de Catastajo situé sur le mare a mare centre, non sans faire un petit crochet par la bergerie de Bianca pour quelques ablutions matinales ; Cascade de l'Undella sur l'Abatescu le sentier descend assez raide, en jouant à cache-cache avec le torrent, mais vers la cote 900, il s’en approche suffisamment pour laisser découvrir un lieu de cascades et de piscines naturelles, un peu fraîches à mon goût pour un séjour prolongé, mais revigorantes compte tenu de la température extérieure.

Le gîte de Catastaju près de San Gavinu di FiumorbuLe site de Catastajo est ce qui reste d’une ancienne exploitation forestière, témoin d’un passé d’ambitions industrielles avortées comme on en trouve de temps en temps en Corse ; au moins l’usine a-t-elle été réaménagée en gîte sur cette portion du mare a mare qui traverse des endroits quasi-déserts ; j’admire la patronne qui doit effectuer la moindre course à Ghisonaccia, et qui parvient à garder le moral ; le temps de quelques emplettes pour mon pique-nique, et d’un Coca glacé accompagné de quelques échanges philosophiques, et me voilà reparti pour monter la bocca di Juva, avec halte casse-croûte et trempette au bord d’un ruisseau ombragé.

Chisa depuis la Bocca di Juva

Sur le papier, la descente vers Chisa, le long de la Vedina Grossa, paraissait ne devoir être qu’une formalité fraîche et sympathique : hélas, le sentier pâtit plutôt de ce voisinage aquatique : les ronces foisonnent, les bestioles aussi, je peste contre le manque d’entretien d’un parcours pourtant signalé sur la carte ; après une heure et demi de bagarre épineuse, je suis furieusement content de retrouver Chisa, avec son tout neuf gîte d’étape, ouvert cette fois-ci, pour une soirée et une nuit ô combien calmes.

Arrivée sur Chisa

Hors pleine saison, faut pas rêver, le responsable de la via ferrata fut introuvable le lendemain matin, peccatu !, je me remets donc en chemin pour gagner, en un jour et demi, Travu et l’arrêt du bus pour Bastia, par la voie du sud, Chisa depuis la Bocca di Cateri avec le Castel de Basadda sur la droite (?) c’est-à-dire la bocca di Cateri et Solaro : la moyenne ne s’annonçait pas démente, j’avais le temps de flâner, et je commençai par discuter une bonne heure avec un sage, assis tranquillement au bord de la route, qui avait envie de parler, ça tombait bien, moi aussi !
Le sentier n’est visiblement pas très fréquenté, mais c’est une autoroute par rapport à celui d’hier descendant de la bocca di Juva ; je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il est jalonné complètement à contretemps, avec des marques abondantes là où c’est évident, et inexistantes dans les endroits difficiles, comme par exemple le village ruiné de Cipitosa ; les abords du ruisseau éponyme sont propices au bivouac, l’eau y est chaude et abondante, je plante donc là ma tente pour une soirée de vrai repos, dans une Corse réellement sauvage…et délaissée des randonneurs. La montée vers Solaro le lendemain et la descente vers la N 198 ont moins d’intérêt, mais il faut bien rentrer, n’est-ce-pas ?

Pour paraphraser un titre célèbre, j’ai touché du doigt « le GR 20 et le désert corse », car enfin, en dehors du « fra i monti », je n’ai pas rencontré un seul randonneur, en cinq jours de marche ! Non, la surfréquentation ne menace pas les chemins d’écoliers de l’Ile de Beauté : d’où l’intérêt d’un site comme celui qui a la bonté d’héberger mes discours ! On voit aussi qu’il existe, à partir des tracés existants, de nombreuses combinaisons pour bâtir des treks originaux : disposant de plus de temps, j’aurais pu baguenauder dans le Cuscione en couchant à Bassetta, ou bien rejoindre Bavella par Asinao, etc., etc., l’important étant de savoir quels sentiers sont praticables : je doute que celui qui relie la Bocca di Juva à Chisa le reste longtemps ! Mais encourager le Parc à en ouvrir de nouveaux n’est réaliste que s’ils sont effectivement empruntés. Ceci étant, le jalonnement n’est généralement pas à la hauteur des efforts consentis pour la remise en état ou l’entretien : dommage , car beaucoup de coins superbes restent à découvrir !

Histoires belges : Emoticones

J’ai évoqué en début de récit, la rencontre de deux randonneurs belges lors d’un précédent GR 20 sud : nous arrivions au col de Bavella, trempés comme des soupes, et moi de fort méchante humeur, ayant réussi à attraper en une seule étape une mégaampoule au talon ; arrivant au dortoir je tombe sur un marcheur éploré : parti avec son ami en direction d’Asinao, surpris par l’orage, il avait rebroussé chemin alors que l’autre continuait, et il craignait de devoir poursuivre tout seul…Je troquai son ralliement à notre groupe contre une énorme double peau à la taille de mon ampoule, une sorte de compeed à la puissance 10, qu’il avait dénichée dans sa trousse médicale.
Le lendemain nous gagnâmes Asinao par le GR du bas, hélas- les aiguilles étaient complètement prises et la variante alpine rendue de ce fait périlleuse- et retrouvâmes le « fugueur », qui avait d’ailleurs failli faire demi-tour sans s’en rendre compte dans la tourmente, mais qu’un couple de Bretons avait remis dans la bonne direction. Ragaillardi par cette journée à nous attendre, André -c’était son nom- avait décidé de partir le lendemain au petit matin pour gagner Usciolu ; moi, vu le temps et l’état de la troupe, je m’étais verrouillé sur une étape à Bassetta, et nous pouvions donc décoller à une heure raisonnable ; Daniel (c’était mon Belge) avait opté pour faire équipe avec nous.
Le lendemain, partis une bonne heure plus tard qu’André, nous le rattrapâmes aux trois-quarts de la montée vers l’Incudine : le malheureux avait démarré trop fort et présumé de ces forces. Du coup, il ne nous quitta plus, et c’est ainsi que nous ressoudâmes l’amitié entre les deux Belges.
Ils étaient d’une discrétion tombale sur leurs activités. J’avais fini par pressentir l’horrible réalité, qu’ils m’avouèrent à la fin de la rando : ils étaient fonctionnaires du fisc belge…